Sauvegarder l’Hôtel-Dieu de Paris

Le travail que j’ai effectué en 2019 dans le cadre de ma participation au colloque sur Paris-Centre (voir article du 30 mars 2019) m’a fortement interpellé. J’ai constaté une perte préoccupante de la pluralité des fonctions urbaines de ce territoire stratégique. Des milliers de m2 se libèrent (fermeture de 3 mairies, déménagement du Tribunal de Grande Instance à Batignolles, libération des locaux de l’ancienne Préfecture bd Morland…) Et l’essentiel de la réaffectation des locaux disponibles est destiné à des activités liées au Tourisme. La fonction sanitaire qui existe depuis 1300 ans est menacée : un tiers des surfaces de l’hôpital Hôtel-Dieu est attribué au promoteur Norexia, notamment pour implanter des activités commerciales.

Très sensibilisée à la disparition progressive de la fonction sanitaire et sociale dans Paris, à la fois en tant qu’urbaniste défendant le maintien de la diversité des fonctions urbaines, mais aussi en tant qu’experte d’usage » (grande utilisatrice de soins médicaux), j’ai décidé de me mobiliser pour la sauvegarde de cet équipement emblématique. A l’exception du milieu associatif, je me suis heurtée pendant de longs mois à une indifférence polie. Mais la crise du COVID-19 a rebattu les cartes, démontrant avec acuité l’importance de préserver une offre de santé millénaire, sinon on entérinait une désertification hospitalière dans les 9 premiers arrondissements de Paris (soit un ensemble de 350 000 habitants, la taille de l’agglomération de Strasbourg).

Tribune Le Monde

L’adéquation entre l’emploi et la main-d’oeuvre à Paris-Centre

L’ADEQUATION ENTRE L’EMPLOI ET LA MAIN-d’ŒUVRE A PARIS-CENTRE

Cet article présente l’intervention que j’ai effectuée le 30 mars 2019, à un colloque organisé à la mairie du 4ème arrondissement de Paris. Dans le cadre du regroupement des quatre premiers arrondissements de la capitale en une entité unique intitulée « Paris-Centre », il s’agissait de répondre à un double questionnement : « Quels équilibres ? Quelle centralité ? » Dans ma contribution, je fais état d’un très fort déséquilibre Emploi/ Main-d’œuvre dans le futur arrondissement de Paris-Centre, avec une fonction « Travail » fortement sous-estimée, au regard d’une fonction « Tourisme » beaucoup plus visible, mais d’une importance bien moindre.

Programme colloque

N.B. Sauf précision, contrairement à l’habitude générale, les statistiques sur les actifs que je présente ici comprennent les chômeurs, puisque les emplois leur sont en partie destinés. Les sources sont issues des données INSEE de 2013. Il existe des données plus récentes, mais j’ai fait le choix d’être en cohérence avec le dernier recensement des déplacements domicile-travail effectué à cette date.

1ère PARTIE – LES DESEQUILIBRES ACTIFS- EMPLOIS

Introduction
Le territoire de Paris-Centre – qui représente 100 000 habitants – combine deux spécificités :
– il se situe au cœur du « Paris actif qualifié »
Il regroupe 61 000 actifs, dont 51 % de « cadres et professions intellectuelles supérieures » ;

– Et au cœur d’un important pôle d’activités diversifiées
Il totalise près de 190.000 emplois, avec une palette de répartition plus large : 1/3 de cadres, ¼ de professions intermédiaires et un peu plus d’¼ d’employés.

1.1. Population active par CSP : le « Paris des cadres »

–Les cadres supérieurs (31 000) représentent plus la moitié des actifs dans les 4 arrondissements (51 %) ce qui constitue un record (France Métropolitaine 16% ; le double de la moyenne régionale, 27%).
–Les professions intermédiaires sont dans une proportion à peu près semblable à la moyenne nationale (24,6%).
–Les employés sont deux fois moins nombreux que la moyenne française (29%) avec un maximum de 16% à Paris 4e. C’est le même pourcentage pour la population active et les emplois.
–La proportion d’ouvriers varie de 3,5 % (Paris 4e) à 6,5% (Paris 2e). Un taux particulièrement faible au regard du score national (moyenne française 22,5%).

Au total, les résidents sont très qualifiés, avec une majorité de cadres, 1/4 de professions intermédiaires, deux fois moins d’employés et 4 à 5 fois moins d’ouvriers.
• En nombre, les cadres sont 10 fois plus nombreux que les ouvriers.
• Cette proportion de cadres, même comparée à la moyenne de la capitale (44%), est de 7 points supérieure.
• A l’inverse, le nombre d’ouvriers est très faible, tant au sein de la main-d’œuvre résidente (5%) que des emplois locaux (9%).
• Comme indiqué plus haut, les chômeurs sont inclus (6400). Le taux de chômage est plus faible à Paris-Centre, il atteint 10,6% contre 12% à Paris et 12,6% en Ile-de-France (INSEE 2014).

1.2. Un excédent considérable d’emplois : 3 fois plus que d’actifs résidents

Ceci traduit le caractère fortement centripète du territoire en matière d’activités.

• Quantativement, le nombre d’emplois dans les 4 arrondissements atteint près de 190 000 postes, à comparer aux 61 000 actifs résidents, soit un excédent considérable d’environ 130 000 emplois. Le taux est de 3,5 emplois pour 1 actif occupé, soit plus du double de la moyenne de la capitale.

Cette situation générale s’observe dans l’ensemble de Paris, avec un taux d’emploi de 1,65 :
– l’emploi de la capitale est occupé pour moitié par des travailleurs banlieusards, pour moitié par des Parisiens ;
– les actifs parisiens apparaissent privilégiés : ils sont 68% à travailler dans leur commune.

Mais l’excédent parisien est bien moindre que celui de notre territoire d’étude :
dans le cas de Paris-Centre, les actifs en emploi sont doublement privilégiés, car ils sont déjà la moitié à travailler dans leur propre arrondissement de résidence !!

Au sein de la capitale, Paris-Centre représente 5% des actifs parisiens, mais près de 11% des emplois.

Le décalage Main-d’Œuvre / Emploi de Paris-Centre entraîne un important besoin de population active extérieure pour faire fonctionner les activités locales.

1.3. La première fonction urbaine de Paris-Centre, c’est l’Emploi

Qualitativement, bien entendu, Paris-Centre n’est pas un isolat et la main-d’œuvre locale étant mobile, 25 000 résidents en activité quittent notre territoire d’étude pour rejoindre un lieu d’emploi extérieur.

•D’où par jour, deux mouvements croisés fortement dissymétriques :
– un important flux d’arrivées de 160 000 « entrants » venant travailler à Paris-Centre ;
– un flux bien plus modeste de départs de 25 000 résidents « sortants », exerçant une activité à l’extérieur du territoire.

L’importance des flux centripètes « entrants » alimente fortement l’attractivité du territoire. Au total, 215 000 actifs fréquentent ce territoire, avec seulement 14% de recoupement entre les deux systèmes Main-d’Œuvre / Emploi. D’où une explosion des besoins de déplacements Périphérie-Centre et des nuisances qui y sont liées (encombrements, pollutions)… Paradoxalement, ces 160 000 « entrants » ne sont pas perçus comme « dérangeants » par les habitants. Ils arrivent essentiellement en transports en commun, s’engouffrent dans les entreprises et repartent rapidement. C’est pourquoi bien qu’ils soient 5 fois plus nombreux que les touristes, ils possèdent une faible visibilité.

Dans le débat qui se développe chez les résidents : « Y a-t-il trop de touristes ? » un argument des décideurs qui plaide en leur faveur est de considérer l’apport économique de ces derniers à Paris-Centre.
Par contre, il n’y a pas de débat sur la présence bien supérieure de tous ces travailleurs extérieurs qui produisent l’essentiel des richesses économiques locales, mais n’en profitent guère. Ils sont nettement plus nombreux à fréquenter le territoire que les résidents, mais il n’y a aucune prise en compte des besoins de ces 160 000 entrants, dans les choix pris à Paris-Centre, en matière d’activités, de services ou de transports.

1.4. Déséquilibres Actifs / Emplois, les questions à résoudre

A/ Les causes
• Cet excédent d’emplois est-il dû à la perte d’actifs, liée à une diminution de population et/ou son vieillissement ?
• Et/ou à une aggravation de la concentration d’activités sur Paris, et/ou au départ en banlieue de travailleurs de classes moyennes et populaires ayant conservé leur emploi ?

B/ Les questionnements
Comment intégrer dans les projets ce très fort apport quotidien « invisible » de « passagers travailleurs » ?

Choix 1 : Faut-il éponger les dégâts (lutte contre la pollution de l’air, végétalisation, nouvelles offres de transport) en se contentant d’accueillir de façon grandissante cette main-d’œuvre extérieure ?

Choix 2 : Ou supprimer les causes, en cessant de densifier l’emploi au centre, en limitant l’implantation de nouvelles activités, en les relocalisant dans des zones d’habitat en banlieue? En supprimant les besoins de transports à la source ?

Choix 3 : Une combinaison des deux premiers ?

2ème PARTIE – LES DEPLACEMENTS DOMICILE-TRAVAIL

N.B. Bien entendu, les statistiques ne concernent que les actifs ayant un emploi.

Introduction :
Paris-Centre constitue une « zone intense » remarquable
Définition de la « zone intense » : territoire où la majorité de la population active habite et travaille dans un espace de proximité [1] .

L’autonomie des actifs résidents du site est tout à fait exceptionnelle
D’où des besoins de déplacements domicile-travail particulièrement faibles et des conditions d’activités de proximité très appréciables (emplois présentiels), liées aussi au niveau de vie élevé des populations.

Pour plus de la moitié des actifs de Paris-Centre, leur lieu d’emploi se situe dans un rectangle de 4 x 2 kms.
D’où l’importance des modes de déplacements doux : par exemple, 18 % des actifs occupés du 1er -2ème vont travailler à pied (IDF : 7%, Paris : 10 %)

•On savait que les habitants de Paris-Centre étaient favorisés socialement. On découvre que les résidents/travailleurs sont également favorisés en matière de déplacements domicile-travail, car ils connaissent peu « la galère des transports », à la différence des banlieusards qui font fonctionner la majorité des activités du territoire.

2.1. L’essentiel des actifs résidents de Paris-Centre travaille « sur place »

•La moitié des actifs ayant un emploi habite et travaille en interne, dans son propre arrondissement de résidence = 27 400.
•A l’inverse, les 4 arrondissements apparaissent très « autarciques » entre eux, ils ne sont que 2240 actifs (4%) à occuper un emploi dans un autre arrondissement de Paris-Centre, ce qui traduit une très faible porosité interne.
• Au total, nous évaluons ces deux catégories à près de 30.000 personnes, soit un taux de 54% des actifs occupés de Paris-Centre exerçant dans un rayon de proximité, ce qui est remarquable. A comparer à la moyenne régionale, où 30 % des actifs ayant un emploi travaillent dans leur commune de résidence.

2.2. Un nombre relativement modeste de parisiens extérieurs venant travailler à Paris-Centre

  Ces « passagers travailleurs » parisiens sont près de 37 000 à venir chaque jour occuper un emploi depuis d’autres arrondissements de la capitale.

On observe une prédilection des parisiens originaires de la rive droite, avec une importante attractivité pour les arrondissements de l’est :
– en tête, le pôle Montmartre-la Villette (18e -19e -20e), avec 10381 actifs (28%) ;
– vient ensuite le QCA (Quartier Central des Affaires) au sens restreint du terme [2] (8e – 9e – 16e – 17e) : 6 800 (18%) ;
– le Pôle des 2 gares du Nord et de l’Est : (10e – 11e) 6000 (16 %) ;
– Bercy-Italie (12e – 13e) : 5 700 (15%) ;
– Montparnasse (14e- 15e) : 5 400 (15%) ;
– Enfin, le Centre Rive Gauche (5e -6e -7e) avec 2 600 flux.

2.3. D’où vient la main-d’œuvre de banlieue travaillant à Paris-Centre ?

 Analyse des principaux flux (de 100 et plus)
•Les plus importants viennent de la banlieue Est : en tête de toutes les communes, Montreuil (1 901 actifs) et sa commune adjacente Vincennes (1505) ;
•Notons aussi les bons scores de Créteil (1406) et de son bassin : Saint Maur des Fossés (1 391) ; Champigny sur Marne (1 032) ; Fontenay-sous-Bois (1 089).
•Plus généralement, les communes de l’intercommunalité « Est Ensemble » (allant de Bagnolet à Pantin) fournissent un nombre de travailleurs conséquent. Soit environ 5 000 (4 986) actifs, sans compter Montreuil.
Au total ces 3 ensembles représentent 12 221 actifs, soit 48% des flux de l’échantillon.

•Bien plus modestement, relevons le poids de La Défense élargie dont Courbevoie (1 343) et Neuilly 1 127 pour un total général de 4 719 actifs, soit 18% des flux étudiés.
•Viennent ensuite les communes de Seine amont, avec Vitry (1 163), Ivry (1 110), Maisons-Alfort (1 075), Villejuif (960), soit un total de 4 308 actifs (16,8%).
•Puis le pôle de Saint Denis (1 286), qui comprend aussi Aubervilliers (1 107), et Saint Ouen (818), soit au total 3 211 actifs : 12,6%.

En synthèse
On observe chez les « passagers banlieusards » une très forte prééminence des flux originaires de l’Est/Nord-Est et notamment du département du Val de Marne et du bassin de Montreuil. Avec une majorité d’échanges sur la rive droite, ce qui confirme mon constat d’une « intelligence du déplacement » propre aux franciliens qui préfèrent fonctionner à l’intérieur d’un « quadrant » sur un même rive de la Seine [3] .

EN SYNTHESE : QUELS EQUILIBRES ? QUELLE CENTRALITE ?

Toute cette analyse suggère de complexifier une vision par trop univoque du territoire.

A/ On distingue plusieurs « Paris-Centre », qui se côtoient sans forcément se rencontrer :
fonction habitat : le Paris 1-2-3-4 des résidents (100 000 habitants) ;
fonction économique : le Paris 1-2-3-4 de l’emploi, assuré par une abondante main- d’œuvre essentiellement extérieure (215 000 travailleurs / jour) ;
fonction touristique : le Paris 1-2-3-4 des « touristes passagers» (35 000/ jour) ;
fonction transports : le Paris 1-2-3-4 de gestion des flux d’usagers, avec Châtelet, premier pôle de transit/voyageurs européen (800 000 flux /jour).

On est loin de l’image d’Epinal d’un Paris-Centre réduit au rang de « musée » fréquenté quotidiennement par 35 000 touristes considérés comme « envahissants » et subissant un vaste mouvement centrifuge de départ de ses populations et de ses activités.

Il s’agit plutôt d’une VERITABLE RUCHE de 215 000 travailleurs, générée par un pôle centripète à forte attractivité, avec 160 000 actifs/jour venant de l’extérieur, dont 65% originaires de banlieue.
Bien qu’il s’agisse de la première fonction du territoire, l’EMPLOI, celle-ci est insuffisamment intégrée dans les perspectives et les projets.

B/ Paris-Centre constitue un territoire où s’exercent de véritables « dialogies » [4] , c’est-à-dire un jeu de forces reliées ensemble par des liens contradictoires, à la fois antagonistes et complémentaires.

Ce qui suppose de mettre en place une gouvernance démocratique complexe, qui ne serait pas seulement centrée sur les besoins de sa population résidente :
– Comment élargir la réflexion à d’autres groupes « passagers », qui pourraient être bénéficiaires des projets de « Paris-Centre » ?
– Quelles alliances entre l’entité Paris-Centre et l’ensemble de la capitale ?
– Quelles alliances Centre /Périphérie entre Paris-Centre et sa banlieue travailleuse, notamment à l’Est avec le bassin de Montreuil et le Val-de-Marne ?
– Comment permettre l’expression de tous ces groupes, intégrer leurs besoins et aspirations complémentaires et/ou contradictoires?
– Comment assurer des prises de décision négociées à des échelles territoriales élargies?

SUGGESTION
N.B. Depuis le colloque, est survenu l’incendie de Notre-Dame qui va générer des années de chantier, avec un apport supplémentaire de main-d’œuvre extérieure. Ainsi, la fonction « Emploi » de Paris-Centre va encore se renforcer. N’est-ce pas l’occasion d’ouvrir un lieu « d’accueil/recrutement/formation », notamment autour des métiers d’artisanat d’art et du compagnonnage, peut-être dans ce site éminemment symbolique : le « quai des Orfèvres » ?

[1] Source : Christian Devillers, Marie Evo, in Le Grand Paris des Habitants, 2013,    www.lesbassinsdeviedugrandparis.fr
[2] Habituellement, le Quartier Central des Affaires comprend aussi les 1er et 2ème arrondissements, qui sont évidemment exclus ici. Il s’agit du plus gros pôle d’emploi d’Ile-de-France, avec 620 000 emplois.
[3] J’ai de fortes réticences à considérer l’Ile-de-France comme un « bassin unique » d’emplois, approche qui a guidé les choix du Grand-Paris-Express. Jacqueline Lorthiois & Harm Smit, « Les écueils du Grand Paris Express », Métropolitiques, 27 juin 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Les-ecueils-du-Grand-Paris-Express.html
[4] Cette notion est empruntée à « la théorie de la complexité » d’Edgar Morin : le principe dialogique « unit deux principes antagonistes qui sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité ».

Grand Paris, un projet controversé

Grand Paris, un projet controversé

Le Grand Paris fait exploser toutes les inégalités territoriales

Lors du débat de « Public Sénat », il était convenu que ma « carte rouge » montrant l’extraordinaire concentration d’emplois en Île-de-France serait projetée à l’antenne. J’ai attendu en vain : résultat, je n’ai pas fait l’intervention que j’avais préparée sur ce sujet. D’où cet article complémentaire qui présente « la carte à laquelle vous avez échappé »… qui devient en réalité une « deux en un », avec une carte en bleu qui montre la localisation de la moitié de la main-d’œuvre, à mettre en regard de la carte rouge.

Sur la première figure, nous constatons une énorme concentration de l’emploi : 19 communes – sur 1274, soit 1,5%  ̶ forment une tache rouge centrale qui cumule la moitié de l’emploi régional, dans un vaste océan « gris » qui couvre les 1255 municipalités restantes.

Paris et ses adjacences ressortent clairement : évidemment à l’Ouest les quartiers d’affaires de La Défense élargie (Nanterre, Puteaux, Courbevoie, Rueil-Malmaison, Neuilly-sur-Seine) et du binôme Boulogne/Issy-les-Moulineaux ; le pôle de Saint-Denis / Saint-Ouen ; deux communes appartenant au ruban de villes longeant le périphérique de Saint-Ouen à Neuilly : Clichy et Levallois-Perret, qui constituent des satellites du Quartier Central des Affaires (QCA)[1] parisien ; des villes de toute première couronne (Montreuil, Gennevilliers) ou de grande (les centres administratifs et économiques de Versailles-Vélizy et de Créteil). Et deux exceptions qui ne sont pas localisées dans ce qu’on appelle « le cœur d’agglomération »[2] : Roissy, deuxième aéroport européen et l’ancienne ville nouvelle d’Évry, préfecture de l’Essonne.

[1] Le Quartier Central des Affaires regroupe les arrondissements : 1er, 2ème, 8ème, 9ème, 16ème, 17ème.
[2] Cœur d’agglomération : les communes en continuité de bâti avec Paris, avec au moins 80% d’espaces urbanisés et denses (au moins 80 habitants et emplois à l’ha construit). Source : IAU.

Sur la deuxième carte, nous observons une dispersion trois fois plus élevée de la main-d’œuvre en bleu, qui reflète bien la localisation géographique de la population francilienne et l’historique de l’urbanisation de l’agglomération : 61 communes sur 1274 – soit 4,7% – regroupent la moitié des actifs franciliens ayant un emploi.

Notons toujours l’importance de Paris et de ses adjacences : le ruban continu de villes le long du périphérique s’est allongé, allant de Pantin à Issy-les-Moulineaux. On retrouve La Défense, les pôles contigus à la capitale : Montreuil, Saint-Denis/Saint-Ouen, le binôme Boulogne/Issy. S’y ajoutent cette fois Aubervilliers, Pantin, Montrouge, Ivry/Vitry… Autant de communes de grande taille bien desservies, ayant accueilli de longue date des populations et des activités desserrées de la capitale.

En deuxième ligne, on reconnaît les bassins de main-d’œuvre de Seine-amont (Alfortville, Maisons-Alfort, Villejuif) jouxtant celui de Créteil (St Maur-des-Fossés, Champigny-sur-Marne) ;  ceux d’Aulnay (Blanc-Mesnil, Sevran, Drancy), Bobigny, de la boucle Nord 92 (Colombes/Asnières), d’Issy (Clamart, Châtillon) et de Boulogne (Meudon).

En seconde couronne, on relève la continuité urbaine Sartrouville/Argenteuil/Epinay (le long de la Tangentielle nord rebaptisée Tram 11 express), une cité de grands ensembles (Sarcelles). Les villes traditionnelles de Meaux, Melun, Saint Germain-en-Laye/Poissy, Massy/ Antony, Versailles… Des communes d’anciennes villes nouvelles : Cergy, Montigny-le-Bretonneux, Noisy-le-Grand, Évry/Corbeil. Soulignons enfin l’absence sur la carte de Roissy, cas spécifique d’un pôle d’emploi sans habitant.

Sans surprise, les deux cartes coïncident fort mal, traduisant la dissociation domicile/travail qui caractérise l’Île-de-France et les besoins de mobilité qui en résultent. Le réseau du Grand-Paris-Express ne constitue guère une solution, car il relie entre eux les « pôles d’excellence » cumulant les emplois, ce qui ne représente que 3% de la demande de transport[1].

Bien entendu, les besoins principaux de déplacements portent sur les liaisons domicile-travail entre des bassins d’habitat (donc de main-d’œuvre) et des pôles d’emplois. Une fonction relativement bien assurée par la ligne 15 Sud, mais très insuffisamment par la ligne 18 Orly-Versailles (voir article ci-après) et pas du tout par la ligne 17 Nord.

Le Grand-Paris-Express constitue une offre qui correspond très mal à la demande. Un échec programmé, dont les coûts ne cessent de grimper…

[1] Source : Enquête Globale de Transports d’Ile-de-France, 2010.

 

La métropole du Grand Paris (MGP) en douze territoires

Une métropole qui ne tient pas ses promesses

Le but avoué de la MGP était de changer d’échelle et de prendre de la hauteur par rapport au cadre trop étroit de la commune, de dépasser les clivages entre territoires riches et pauvres (par exemple le 92 comparé au 93) en s’affranchissant des limites départementales, de rééquilibrer les inégalités territoriales et de créer un grand espace de solidarité globale qui permettent de partager les ressources, en appliquant des règles d’égalité et d’équité.

C’est le préfet de la région Île-de-France qui au nom de l’État assure la responsabilité d’arrêter le périmètre des territoires de la MGP, comme le stipule l’article 12 de la loi MAPTAM.

La loi Grand Paris de Nicolas Sarkozy qui a introduit le régime d’exception de la métropole francilienne n’a pas été abrogée par le gouvernement socialiste. En conséquence, la MGP reflète deux grands principes issus de cette loi de 2007.

Pour un Grand Paris des habitants

Les 15 équipes pluridisciplinaires d’architectes, urbanistes et chercheurs réunies au sein de « l’Atelier International du Grand Paris » (AIGP) ont travaillé pendant un an sur le thème « Habiter le Grand Paris ».

Sujet de leur réflexion : « L’objectif particulièrement ambitieux de construire 70 000 logements par an en Île-de-France constitue un véritable défi. Où construire ces logements ? Quand ? Comment ? Quoi construire et pour qui ? Que faire pour qu’ »Habiter le Grand Paris » devienne une réalité partagée par tous ? »

Ces travaux ont fait l’objet d’une exposition du 1er au 7 Juillet 2013, dans les locaux du « Cent-quatre » à Paris 19ème.

Parmi ces présentations, signalons le travail original et tout à fait intéressant conduit par l’une de ces équipes rassemblée autour du cabinet d’architecte Christian Devillers et associés, intitulée « Les Urbanistes associés »[1] et présenté dans cette vidéo qui a été projetée lors de l’exposition.

Cette recherche est décrite plus longuement dans le texte de synthèse « Aménager le Grand Paris à partir de ses bassins de vie : « Pôles-réseaux-Territoires » du 30 Mars 2013, qui se trouve sur le site de l’AIGP http://www.ateliergrandparis.fr/aigp/conseil/devillers/UrbanistesAssociesHabiter2013.pdf

Cette démarche consistait à vérifier scientifiquement avec une modélisation informatique les hypothèses suivantes :

  • les liaisons domicile-travail en IDF ont une fonction structurante sur les territoires et il est pertinent d’étudier spécifiquement ce type de flux ;
  • il n’y a pas un seul bassin d’emploi en Ile de France que les habitants traverseraient d’un bout à l’autre de la région d’Ouest en Est ;
  • Les flux domicile-travail s’organisent en réseaux, pôles et territoires qui déterminent des « bassins de vie ».

L’étude a montré qu’il existe plusieurs types de pôles en Île de France :

  • un « soleil » constitué par Paris/ la Défense qui rayonne sur l’ensemble de la région ;
  • des « étoiles » qui ont un rayonnement très large (de type Roissy) ;
  • des « zones intenses » d’attraction plus locales autour de pôles qui déterminent des territoires de bassins de vie (exemple le plus typique : les deux zones emboîtées St Quentin-en-Yvelines/ Versailles).

J’ai participé à ces travaux en toute fin de parcours de recherche, pour apporter des précisions sur les différents niveaux d’emboîtements, clarifier la distinction entre bassins de main d’œuvre / bassins d’emplois (flux centrifuges et centripètes) et identifier ce que j’ai appelé les pôles « hydroponiques » (cf Roissy, intitulés « étoiles » dans l’étude Devillers) avec une aire directe très faible et une aire diffuse gigantesque. L’équipe m’a permis à mon tour de clarifier la notion de « zone intense » qui constitue pour moi le recoupement entre un bassin de main-d’œuvre et un bassin d’emploi et que j’appelais abusivement autrefois « bassin de vie ». On en trouvera une illustration dans mon texte « concepts généraux » avec l’exemple des 3 cartes superposées d’Argenteuil.

Le grand mérite des travaux de l’équipe Devillers est d’avoir démontré scientifiquement et systématisé à l’échelle régionale ce que certains vérifient depuis longtemps dans leur activité d’aménagement et d’urbanisme sur les territoires franciliens (dont J.L. HUSSON et moi-même) : rien n’est moins fluide que l’Ile de France et rien n’est plus segmenté que les liaisons domicile-travail. A ma connaissance, une telle analyse globale et systématique n’avait pas été entreprise depuis les études de J.J. RONZAC sur les « zones de solidarité » de l’IAURIF en 1982. Il serait d’ailleurs extrêmement intéressant de comparer les deux découpages à 30 ans d’écart. Et les études de J.L. HUSSON et moi-même sur les 50 bassins d’emplois de l’Ile de France pour l’ANPE en 1987-1990.

Les travaux tout à fait remarquables de l’équipe Devillers battent en brèche la vision simpliste de Christian Blanc d’un Grand Paris d’un seul tenant dont il suffirait de relier les « pôles d’excellence » par un grand réseau de transports de transit rapide reposant sur une hypothétique « fluidité » de la métropole. Ils plaident au contraire pour une organisation polycentrique de l’Ile de France autour de « zones intenses » d’échanges à l’intérieur de territoires de 100000 à 400000 habitants, qu’il s’agirait de conforter par une meilleure autonomie, en renforçant l’adéquation actifs /emplois et le maillage en transports de desserte fonctionnant en cabotage local. Ce qui permettrait de développer les « transports évités » et de stopper la croissance inéluctable de 300000 nouveaux flux de déplacements/jour chaque année qui posent des problèmes ingérables de modernisation du réseau de transports existant, dont l’accident de Brétigny-sur-orge constitue le dernier avatar.

On ne peut que souhaiter que cette recherche soit poursuivie par des déclinaisons concrètes sur des territoires. Et pourquoi pas une application en Plaine de France ? Une « Plaine de France des habitants », voilà qui aurait du sens, avec le redéploiement de la « zone intense d’Aulnay-sous-bois », fortement sinistrée par la perte d’un de ses principaux fleurons industriels (PSA) et dont il s’agirait de conduire la reconversion à partir des besoins de ses résidants. Et de l’autre, de développer modérément les fonctions métropolitaines aéroportuaires du pôle « étoile » de Roissy, au lieu de tenter vainement d’intensifier un bassin de vie inexistant, et des fonctions urbaines polyvalentes qui ne peuvent qu’accroître l’étalement urbain sans retombées locales significatives.

[1] Outre le cabinet Christian Devillers et associés (dont Marie Evo), citons Robert Spizzchino, Alain Bourdin, Jean-Michel Roux, DTZ…

Paris Métropole : de la pieuvre à la méduse ?

Contribution aux Actes du Forum Front de Gauche :

Métropolisation : les nouveaux enjeux. Le cas de l’Île-de-France

1er février 2013, Paris

par

Jacqueline Lorthiois – Alain Lipietz Mars 2013

Les urbanistes comparent souvent l’agglomération parisienne à une “ pieuvre”. Une image nullement péjorative pour des militants écologistes, grands défenseurs de la préservation des espèces vivantes et de leurs milieux. La zone urbanisée francilienne ressemble en effet à un céphalopode. Paris et la petite couronne dense forment une « tête » centrale, prolongée par des “tentacules” qui s’allongent dans les vallées empruntées ou coupées par de grands axes de communication: vallées de la Seine amont (d’Ivry à Corbeil Essonne) et de la Seine aval (de Conflans-Ste Honorine à Mantes) ; vallée de la Marne (de Nogent à Lagny), l’Oise (de Cergy-Pontoise à Persan) ; l’Essonne (de la Ferté-Allais à Corbeil ), l’Orge (d’Arpajon à Athis-Mons), ou encore les vallées de l’Yvette, de la Bièvre ou du Val d’Yerres…

Entre ces coulées urbaines (on dit aussi « les doigts de gants ») se sont longtemps maintenus de grands espaces de plateaux, de plaines et de coteaux cultivés qui ont constitué autant de respirations et de garde-mangers pour la zone agglomérée. Des « pénétrantes », permettant de faire entrer la nature profondément à l’intérieur de la métropole : plaine de Montesson à 7 km de la Défense, plaine d’Argenteuil à l’arrière d’une agglomération de 130 000 habitants, plateau agricole de Saclay dominant la conurbation de Versailles-St Quentin-en-Yvelines et Massy-Palaiseau, triangle de Gonesse entre les deux aéroports de Roissy et du Bourget, et même, commençant à 4 km au sud du périphérique et jusqu’à Orly, le plateau de Longboyau avec des terres maraichères à Vitry, Villejuif, dans la plaine de Montjean…

Dans les années 1970, les villes nouvelles ont repoussé les limites de l’agglomération parisienne. Elles devaient constituer l’extrémité des tentacules de la pieuvre : en amont seraient maintenues des coupures vertes et en aval seraient préservées de vastes étendues de terres agricoles ou boisées. Exemples : pour Cergy-Pontoise, la plaine de Pierrelaye en amont et le parc naturel du Vexin en aval ; pour Evry, la forêt de Sénart en amont et, en aval, la forêt de Fontainebleau et le Gâtinais, etc…
Malheureusement, nous sommes aujourd’hui bien loin du schéma idéal du « SDAU de la Région de Paris » de 1965 porté par Paul Delouvrier, car les aménageurs ont certes urbanisé les Villes Nouvelles, mais aussi comblé de nombreux espaces de respiration en zone agglomérée. Dans le Val d’Oise par exemple, pendant que Cergy-Pontoise visait 200 000 habitants desservis par une branche du RER A et des zones d’activités et pôles de bureaux en conséquence, on « tartinait » les espaces disponibles de la vallée de Montmorency (de la Patte d’Oie d’Herblay à St Gratien), avec 300 000 habitants dans une vaste zone résidentielle sans transport véritable et sans implantation notoire d’emplois. Scénario identique pour la vallée de l’Orge par rapport à Evry. Résultat : deux zones-dortoirs, records de l’Ile de France, avec 3 à 4 actifs pour 1 emploi. De même, pendant qu’un million de m2 de bureaux s’installait en Villes Nouvelles en vingt ans, le seul quartier de la Défense en accueillait tout autant, venant annuler la volonté affichée de rééquilibrer les emplois tertiaires supérieurs à l’est de la région.
Toutes ces contradictions se sont exacerbées avec le Grand Paris de Nicolas Sarkozy qui, par la promotion de « pôles d’excellence » et d’un système de transports censé les relier ensemble, a validé l’aggravation de toutes les inégalités territoriales. C’est ainsi que la santé de la « pieuvre francilienne » s’en est trouvée très affectée, ce qui n’est pas sans préoccuper les écologistes engagés, soucieux du « ménagement du territoire » et du bien-être animal… Aujourd’hui, notre céphalopode semble atteint de plusieurs pathologies graves qui menacent sa survie et celle de son milieu.

Tout d’abord l’hydrocéphalie : la zone dense a dévoré la plupart des espaces naturels situés à l’intérieur de son périmètre. On peut craindre que, par temps de canicule, le réchauffement climatique transforme ces zones désormais entièrement minéralisées en véritables « fours urbains » (4 degrés de différence entre le cœur de la métropole et la campagne qui l’entoure, au delà de Rambouillet[1]) et aussi en accumulateurs d’air irrespirable, saturé de particules fines que ne pourront guère corriger quelques ZAPA (Zones d’Action Prioritaire pour l’Air)[2]. On peut aussi souligner la contradiction dérisoire des pouvoirs publics, cherchant à valoriser de coûteux interstices de nature en murs végétalisés ou toits-terrasses, tout en sacrifiant de vastes terres agricoles millénaires d’excellente qualité[3]. C’est ainsi que la région ne produit plus que quelques pour-cent de l’alimentation nécessaire à ses 12 millions d’habitants. Comble de paradoxe : l’Ile de France importe la quasi-totalité de ses produits bio, car même là où « l’axe royal » (le cône inconstructible qui s’étend à l’Ouest du château de Versailles) semble bien protéger la vocation agricole de l’espace entre les bras de la pieuvre, c’est la politique agricole (nationale et européenne) qui, privilégiant outrageusement les céréales, condamne le maraîchage en pleine terre dans cette zone qui, avant-guerre encore, approvisionnait Paris en produits frais par tramways.

Ainsi, la tête de notre animal est en train de dévorer son corps…

Ensuite, notre pieuvre est menacée d’obésité, car le Grand Paris de Nicolas Sarkozy a ouvert la boîte de Pandore du gigantisme, laissant accréditer l’idée d’une corrélation entre « grandeur » et performance… que démentent totalement les « régions qui gagnent » de l’Europe Alpine, dont les métropoles, Francfort, Munich ou Stuttgart, ne dépassent pas les deux millions d’habitants[4]. Ce qui a fait surgir pas moins de 650 projets du Grand Paris en zone agglomérée, dans un jeu de concurrence et de gâchis de ressources entre territoires.

Aveuglés par la cupidité, les élus soutiennent la spéculation foncière, exacerbant les appétits bétonneurs de ceux qu’on appelle la « bande des 3 » (Bouygues, Eiffage, Vinci) sans compter les grands fonds de pension et autres organismes financiers (Unibail, Axa, BNP-Paribas…) à l’affût de juteux marchés de PPP (partenariats publics-privés), qui se révèlent à l’expérience de formidables pièges pour les collectivités territoriales. Un seul exemple : le fiasco de l’hôpital Sud francilien porté par Serge Dassault à Corbeil-Essonnes et ses 8 000 malfaçons, dont le loyer annuel dû à Eiffage est passé en 3 ans de 30 000 à 52 000 euros…

Cet accaparement des richesses économiques, des emplois tertiaires supérieurs et des centres de décision par la région-métropole revêt sa forme la plus caricaturale avec l’Opération d’Intérêt National (OIN) du plateau de Saclay, qui devrait siphonner l’ensemble de l’élite des centres de recherche et grandes écoles du territoire français, en un regroupement physique bien démodé à l’ère du tout numérique. Cette sur-concentration fait courir le danger d’une Ile-de-France privant les autres capitales régionales de ses jeunes les plus qualifiés, produisant un remake de « Paris et le désert français » sous des formes différentes. Une carte de la DATAR (Figure 1) montre en 3 ans la reconstitution d’une « couronne de vide » en matière de désindustrialisation et de crise de l’emploi dans un rayon de 400 kms autour de Paris, effaçant des années de timides efforts de décentralisation vers des métropoles dites d’« équilibre » mises à mal par la crise survenue en 2008. Mais un examen de la carte de 2001-2007 montre que le mal vient de plus loin. Dans les dernières années de croissance du modèle libéral-productiviste, la « ceinture des cathédrales » (c’est à dire les villes à plus d’une heure de Paris par le train), sur laquelle la Datar et l’IAURIF avaient jadis tant misé pour désengorger la métropole[5], s’était déjà écroulée.

Notre pieuvre a tellement grossi qu’elle menace la vitalité de ses congénères.

Figure 1 : Évolution de l’emploi salarié privé avant et pendant la crise

A l’intérieur de la région, la pieuvre devenue monstrueuse est en train de dévorer son milieu, menaçant le fragile équilibre “ville / campagne” qui devait fonctionner en symbiose. Ses tentacules ont cessé d’être de dimensions raisonnables pour s’allonger comme le “nez de Pinocchio”, grignotant peu à peu les coupures vertes. L’on voit se dessiner ainsi d’énormes continuums au-delà des villes nouvelles. Ainsi, avec les extensions de « Villages-nature » portée par Disneyland et les urbanisations de Marne-et-Gondoire… l’Est de Marne-La Vallée est en passe de rejoindre Melun, sacrifiant au passage deux magnifiques méandres de la vallée de la Marne… Evry et Sénart (conçues à l’origine comme des Villes Nouvelles distinctes, afin d’éviter justement le développement en tache d’huile !) se jouxtent et enclavent la forêt… A Gonesse, Auchan prévoit de construire un centre de shopping et de loisirs géant intitulé « Europa city »[6]. Au nord de Goussainville, le soi-disant « écoquartier » de Louvres prévoit un accroissement de 15000 habitants sans création d’emplois locaux, formant un nouveau « doigt de gant » en passe de se prolonger au Nord jusqu’à la frontière de l’Oise (30 pastilles d’urbanisation préférentielle de Fontenay-en-Parisis à Marly-la-ville, Fosses, Survilliers), qui couperait la plaine de France en deux par un long ruban. Dans une des plus grandes zones-dortoirs de la Région, en décalage total avec le niveau de qualification des projets du « Grand Roissy »[7], les futurs habitants seront condamnés à encombrer dès l’amont le flot déjà saturé de 600 000 voyageurs/jour du RER D et “faire un enfer” aux usagers chargés plus en aval (Villiers le Bel, Garges les Gonesse, Sarcelles…)

Notre pieuvre consomme son liquide amniotique au risque de s’auto-détruire.

On aurait pu espérer que le Schéma Directeur Régional de l’Ile-de-France, actuellement révisé par une coalition d’élus où les écologistes sont fortement représentés, aurait coûte que coûte tenté de sauvegarder les respirations, coulées vertes et zones agricoles à partir desquelles reconstruire une agriculture bio et de proximité. Cela impliquait la reprise du projet de 1992, la lutte contre la mégapolisation par accord avec les régions du Grand Bassin Parisien, pour reconstituer la « ceinture des cathédrales » : reporter sur le Val de Loire, la Champagne, la Normandie et le Nord-Pas-de-Calais la croissance démographique et les emplois « fléchables »… Eh bien non. Le discours de la « ville dense » et de la protection de la campagne aboutit à densifier tout ce qui restait aéré en petite comme en grande couronne. Et le discours de la ville « intense » ou de la « ville des courtes distances » domicile-travail sert à bombarder tout et n’importe quoi « centre régional », selon la conception du Divin chez Blaise Pascal (un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part).
Exemple : Villejuif, modeste ville populaire à 4 km de Paris, reliée au centre par une demi-ligne de métro déjà saturée (une autre est promise dans 11 à 14 ans), se trouve étiquetée « pôle régional » au même titre que Versailles !

Et le SDRIF 2013 n’y va pas de main morte : là où celui de 2008 posait cinq « pastilles rouges » (zone à fort potentiel d’urbanisation) sur le territoire, le projet actuel en colle 13 !

Prétexte à bétonner tout ce qui respirait encore, non seulement ses dernières terres maraichères mais son parc, son cimetière, un des ses hôpitaux, tout en achevant de détruire ses rares attributs de « centralité ». Les derniers beaux immeubles anciens sont rasés pour construire des résidences, et son unique place, entre la mairie, l’église, la médiathèque et le théâtre, se voit infliger un immeuble en plein milieu : on « remplit les dents creuses ».

Ainsi le SDRIF, en ajoutant des pastilles d’urbanisation à la demande des élus locaux, est en train de combler les espaces préservés entre les tentacules de la pieuvre. Résultat, la région parisienne se transforme en zone d’agglomérats avec quelques résidus urbains vacants, le tout constituant un “amas sans visage”. Car les bétonneurs ont vite fait de prétexter que les terres agricoles d’Ile de France sont polluées, pour les considérer non pas comme une ressource fragile vitale à protéger, mais comme des espaces qui seraient “libres”. D’ailleurs, en laissant en blanc les terres agricoles, les plans d’urbanisme contribuent à leur invisibilité. Les maires bétonneurs du Triangle de Gonesse font même courir le bruit de “lâchers de kérosène” des avions de Roissy et du Bourget qui auraient rendu les terres impropres à l’alimentation. Pourtant, quelques années suffiraient pour dépolluer les sols, mais les minéraliser les tuerait définitivement, car on oublie trop souvent que la terre est vivante. En comblant tous ces espaces de respirations, la pieuvre devient alors un monstre ingouvernable et prend la forme patatoïde d’une méduse géante…

Figure 2 : De la « pieuvre » (à g., zone agglomérée dense IDF) à la « méduse » (à d., Paris-Métropole) interprétées par Hyperbold.

C’est ce qui ressort de la carte du projet de « Métropole parisienne », censé être le périmètre de la gouvernance de la zone agglomérée (la « méduse »), par opposition à la gouvernance de la cohérence ville-campagne, c’est à dire à l’échelle de l’ensemble de la Région Ile-de-France. Significativement, cette gouvernance métropolitaine serait la moins démocratique de toutes les collectivités : le maire de Paris et les présidents des communautés d’agglomération (d’au moins 300 000 habitants), déjà élus au second degré (et même au troisième pour les communautés d’agglomération), se constitueraient en « conseil de métropole », dont le bureau serait donc élu au 4e degré ! Jamais l’Union européenne n’a osé s’éloigner aussi loin des simples citoyens… alors que le Conseil régional est élu au suffrage universel direct.

Ce lien entre le choix de croissance d’une métropole amorphe et d’une gouvernance a-démocratique, où plus personne ne semble plus rien contrôler et où les citoyennes et les citoyens ne savent plus à qui s’adresser, qui il faudrait renverser pour « arrêter ça », n’a rien de fortuit. Car finalement, il n’y aucune autre force que la volonté du « bien-vivre » des résidents d’une métropole[8], pour l’empêcher de virer à la « mégapole », voire à la « mégalopole », à l’agglomérat sans esprit ni plan, ni signification pour quiconque, sauf ceux qui font métier de bétonner.

La méduse est le stade ultime de la pieuvre libérale et productiviste.[9]

[1] http://www.notre-planete.info/terre/climatologie_meteo/ilot_chaleur_urbain_0.php

[2] http://www.airparif.asso.fr/_pdf/publications/bilan-2012-synthese-130327.pdf

[3] J. Lorthiois, « Roissy, le mirage blanc », in Territoires, http://www.cptg.fr

[4] A. Lipietz, « Face à la mégapolisation : la bataille d’Île de France », 1993, (http://lipietz.net/?article573), version augmentée dans Benko G. et Lipietz A., La richesse des régions (PUF, 2000) dont la préface de D. Voynet (http://lipietz.net/?article358) mérite d’être relue pour mesurer le chemin parcouru à rebours…

[5] « Face à la mégapolisation… », cité.

[6] Angela Bolis, Le Monde du 26 Mars 2013 http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/03/26/europa-city-ou-l-art-de-construire-des-pistes-de-ski-en-banlieue-parisienne_1851319_3244.html

[7] J. Lorthiois, “Roissy, histoire d’une mystification”, in POUR, n° 205-206, Juillet 2010.

[8] Plusieurs collectifs de résistance citoyenne se sont constitués contre l’urbanisation du plateau de Saclay, du Triangle de Gonesse (http://www.cptg.fr), de la plaine Montjean… dont certains regroupés au sein d’une coordination francilienne, la COSTIF, http://costif-gp.blogspot.fr/

[9] Voir A. Lipietz, « La Mégapole, fille du libéralisme et de Sarkozy », L’Humanité, 1er fév. 2013, http://lipietz.net/?article2944