Grand Paris, un projet controversé

Le Grand Paris fait exploser toutes les inégalités territoriales

Lors du débat de « Public Sénat », il était convenu que ma « carte rouge » montrant l’extraordinaire concentration d’emplois en Île-de-France serait projetée à l’antenne. J’ai attendu en vain : résultat, je n’ai pas fait l’intervention que j’avais préparée sur ce sujet. D’où cet article complémentaire qui présente « la carte à laquelle vous avez échappé »… qui devient en réalité une « deux en un », avec une carte en bleu qui montre la localisation de la moitié de la main-d’œuvre, à mettre en regard de la carte rouge.

Sur la première figure, nous constatons une énorme concentration de l’emploi : 19 communes – sur 1274, soit 1,5%  ̶ forment une tache rouge centrale qui cumule la moitié de l’emploi régional, dans un vaste océan « gris » qui couvre les 1255 municipalités restantes.

Paris et ses adjacences ressortent clairement : évidemment à l’Ouest les quartiers d’affaires de La Défense élargie (Nanterre, Puteaux, Courbevoie, Rueil-Malmaison, Neuilly-sur-Seine) et du binôme Boulogne/Issy-les-Moulineaux ; le pôle de Saint-Denis / Saint-Ouen ; deux communes appartenant au ruban de villes longeant le périphérique de Saint-Ouen à Neuilly : Clichy et Levallois-Perret, qui constituent des satellites du Quartier Central des Affaires (QCA)[1] parisien ; des villes de toute première couronne (Montreuil, Gennevilliers) ou de grande (les centres administratifs et économiques de Versailles-Vélizy et de Créteil). Et deux exceptions qui ne sont pas localisées dans ce qu’on appelle « le cœur d’agglomération »[2] : Roissy, deuxième aéroport européen et l’ancienne ville nouvelle d’Évry, préfecture de l’Essonne.

[1] Le Quartier Central des Affaires regroupe les arrondissements : 1er, 2ème, 8ème, 9ème, 16ème, 17ème.
[2] Cœur d’agglomération : les communes en continuité de bâti avec Paris, avec au moins 80% d’espaces urbanisés et denses (au moins 80 habitants et emplois à l’ha construit). Source : IAU.

Sur la deuxième carte, nous observons une dispersion trois fois plus élevée de la main-d’œuvre en bleu, qui reflète bien la localisation géographique de la population francilienne et l’historique de l’urbanisation de l’agglomération : 61 communes sur 1274 – soit 4,7% – regroupent la moitié des actifs franciliens ayant un emploi.

Notons toujours l’importance de Paris et de ses adjacences : le ruban continu de villes le long du périphérique s’est allongé, allant de Pantin à Issy-les-Moulineaux. On retrouve La Défense, les pôles contigus à la capitale : Montreuil, Saint-Denis/Saint-Ouen, le binôme Boulogne/Issy. S’y ajoutent cette fois Aubervilliers, Pantin, Montrouge, Ivry/Vitry… Autant de communes de grande taille bien desservies, ayant accueilli de longue date des populations et des activités desserrées de la capitale.

En deuxième ligne, on reconnaît les bassins de main-d’œuvre de Seine-amont (Alfortville, Maisons-Alfort, Villejuif) jouxtant celui de Créteil (St Maur-des-Fossés, Champigny-sur-Marne) ;  ceux d’Aulnay (Blanc-Mesnil, Sevran, Drancy), Bobigny, de la boucle Nord 92 (Colombes/Asnières), d’Issy (Clamart, Châtillon) et de Boulogne (Meudon).

En seconde couronne, on relève la continuité urbaine Sartrouville/Argenteuil/Epinay (le long de la Tangentielle nord rebaptisée Tram 11 express), une cité de grands ensembles (Sarcelles). Les villes traditionnelles de Meaux, Melun, Saint Germain-en-Laye/Poissy, Massy/ Antony, Versailles… Des communes d’anciennes villes nouvelles : Cergy, Montigny-le-Bretonneux, Noisy-le-Grand, Évry/Corbeil. Soulignons enfin l’absence sur la carte de Roissy, cas spécifique d’un pôle d’emploi sans habitant.

Sans surprise, les deux cartes coïncident fort mal, traduisant la dissociation domicile/travail qui caractérise l’Île-de-France et les besoins de mobilité qui en résultent. Le réseau du Grand-Paris-Express ne constitue guère une solution, car il relie entre eux les « pôles d’excellence » cumulant les emplois, ce qui ne représente que 3% de la demande de transport[1].

Bien entendu, les besoins principaux de déplacements portent sur les liaisons domicile-travail entre des bassins d’habitat (donc de main-d’œuvre) et des pôles d’emplois. Une fonction relativement bien assurée par la ligne 15 Sud, mais très insuffisamment par la ligne 18 Orly-Versailles (voir article ci-après) et pas du tout par la ligne 17 Nord.

Le Grand-Paris-Express constitue une offre qui correspond très mal à la demande. Un échec programmé, dont les coûts ne cessent de grimper…

[1] Source : Enquête Globale de Transports d’Ile-de-France, 2010.