Adolescents dans la cité
Un livre ancien toujours d’actualité
Cet ouvrage collectif – réalisé sous la direction de Serge LESOURD – bien qu’ancien ( 1992) est intéressant d’un point de vue historique, car il présente 10 ans après le rapport Schwartz (1982) et la création des Missions Locales, un état des lieux de la situation des adolescents, notamment dans les cités des grands ensembles que l’on n’appelait pas encore « quartiers sensibles ».
Rédigé essentiellement par des psychanalystes et des éducateurs, il fait ressortir la dichotomie entre une adolescence « physique » de 3 à 4 ans et une adolescence « sociale » d’une dizaine d’années avant une insertion vraiment durable dans une société frileuse, qui s’ouvre difficilement à la jeunesse.
On assiste à un énorme décalage d’une classe d’âge ayant acquis une maturité sexuelle et civique (abaissement de la majorité de 21 ans à 18 ans sous Valéry Giscard d’Estaing dès 1974), mais restant en situation de dépendance économique, financière, par rapport aux parents et plus généralement à la société pendant 7 années supplémentaires.
D’où l’apparition de la notion « d’ADULESCENCE » des « adultes-adolescents » qui mettent une dizaine d’années, voire plus, à pouvoir accéder à l’âge véritablement « adulte », c’est-à-dire à l’autonomie. Cette notion a été créée par le père ANATRELLA, prêtre et psychanalyste, dans son ouvrage Interminables adolescences (1988). Le problème a été vulgarisé également par le film Tanguy réalisé par Etienne CHATILLEZ en 2001.
Malheureusement, le chapitre que j’ai rédigé sur « Les jeunes et l’entreprise » reste très largement valable aujourd’hui, malgré son ancienneté. La situation ne s’est guère arrangée, mais plutôt aggravée. C’est en raison de cette « adulescence » que j’ai beaucoup insisté auprès de Dominique VOYNET, Ministre de l’Environnement, lorsque j’étais conseillère technique chargée de l’emploi dans son cabinet, pour qu’elle défende l’insertion dans la loi Emplois-Jeunes de 1997 d’un article ouvrant le dispositif aux adultes de 25 à 30 ans qui n’avait pas travaillé plus de 6 mois consécutifs. Une évaluation a posteriori effectuée par le Centre d’Etudes sur l’Emploi a démontré que cela avait représenté un tiers des 350000 emplois du dispositif.
Regrettons que cet enseignement n’ait pas été capitalisé dans le programme « Emplois d’avenir » de 2012 qui s’arrête à 25 ans !
Jacqueline LORTHIOIS
La relation des jeunes au monde de l’entreprise
C’est à partir d’une double expérience que je propose ces réflexions. J’ai d’abord une casquette professionnelle. Ayant travaillé longtemps dans la fonction publique, j’ai créé ensuite ma propre activité. Je suis aujourd’hui consultante-associée à un cabinet-conseil qui s’appelle ASDIC (Agence de Services pour le Développement des Initiatives Communautaires). Ce sigle fait référence aussi à un « asdic » : un sonar pour écouter les fonds marins… Car nous sommes spécialisés dans l’écoute et la mobilisation de ceux qui n’ont pas la parole : les publics en situation d’exclusion, les quartiers et banlieues dites sensibles… J’ai par ailleurs une casquette militante. Je suis administratrice de l’ALDEA (Agence de Liaison pour le Développement d’une Economie Alternative), qui cherche à promouvoir une autre économie, basée sur la solidarité et la démocratie économique. L’association est à l’origine de la création à Pantin de la première « Maison des alternatives » (MAAFORM). Cet ensemble regroupe une vingtaine de structures, où l’on trouve aussi bien des objecteurs de conscience qu’une coopérative biologique ou un chantier-école qui emploie des RMIstes, ou encore un regroupement d’entreprises qui veulent faire de la gestion prévisionnelle de l’emploi sur leur territoire. En matière de jeunesse, nous mettons au point plusieurs outils financiers conçus pour des gens qui n’intéressent pas les banquiers, notamment les jeunes de banlieue. Nous venons de créer une société de gestion financière « Sofia » avec 6 associations de jeunes de banlieues difficiles, comme Vaulx-en-Velin, Aulnay-sous-Bois ou Goussainville. Nous voudrions constituer un fonds commun de placement à risque « Génération Banlieue » par appel public à l’épargne solidaire[1].
Je partirai d’un triple constat qui appelle ensuite un certain nombre de réflexions.
Un triple constat
1/ La relation des Jeunes au monde de l’entreprise n’est pas démocratique
Cette relation est profondément inégalitaire. Par rapport à l’argent, par rapport à la loi. Le code du travail est largement détourné, quand des entreprises emploient des jeunes. On parle beaucoup aujourd’hui de supprimer le SMIC, c’est évidemment d’abord au détriment des jeunes que cela risque de se passer. C’est l’OCDE en premier qui a mis les pieds dans le plat, en prétendant que si la France souffrait d’un taux de chômage élevé, c’était à cause du SMIC. On a donc pensé instaurer officiellement un SMIC jeune[2].
Le SMIC est finalement maintenu, mais il a perdu son sens dans le cas des jeunes. Alors qu’il devrait constituer un « minimum » garanti, il devient pour la grande majorité des jeunes un salaire « maximum », sauf pour quelques minorités : ressortissants des grandes écoles et autres golden boys… Le gouvernement a préféré opter pour la réduction du coût du travail des jeunes, par la mesure Exo Jeunes. Du coup, des agents de l’ANPE racontent recevoir des demandes téléphoniques pour savoir comment licencier les plus âgés. Cette mesure destinée à favoriser l’insertion des jeunes est détournée pour se transformer en transfert d’exclusion de publics. C’est un phénomène de substitution. Piètre consolation : à défaut de partager l’emploi, on partage le chômage…
De plus, on confond l’augmentation de l’emploi avec la réduction du chômage. Parce qu’il y a du chômage caché, non déclaré qui s’exprime dès que la situation de l’emploi s’améliore. Des économistes distingués ont réalisé des simulations : 10 emplois créés dans les services ne réduisent le chômage que de 2 unités, dans l’industrie de 6 ou 7 postes… Cette relation jeunes / entreprises non démocratique l’est encore moins en France qu’ailleurs. Car notre hexagone est la lanterne rouge des grands pays européens en matière de chômage des jeunes : un demandeur d’emploi sur 3 a moins de 25 ans.
2/ La relation à l’entreprise est de plus en plus discriminante à l’intérieur de la jeunesse
On dit toujours que les employeurs rejettent les jeunes de faible niveau de qualification. C’est trop simpliste. Les 2/3 des jeunes chômeurs sont des chômeuses. Or toutes les études sur le niveau scolaire s’accordent à dire que les filles travaillent mieux à l’école et, à poste de travail égal, sont plus qualifiées que leurs collègues masculins. C’est donc que le fait d’être jeune est déjà considéré comme un handicap, mais que le fait d’être « en plus » une fille rajoute à la discrimination. Il s’agit d’un cumul de handicaps pour un patron, si tant est que la jeunesse et la féminité puissent être considérées comme des tares !
Cela signifie qu’il y a dans l’entreprise une sélection de plus en plus sévère vis-à-vis des jeunes, basée sur des croyances d’employabilité plus ou moins élevées, selon telle ou telle catégorie de jeunes. Croyances souvent injustifiées mais qui ont la vie dure. Car les critères d’embauche deviennent largement irrationnels, contrairement à ce qu’on pourrait penser. J’en veux pour preuve une expérience relatée par un organisme aussi sérieux que l’APEC, qui a pratiqué des échanges de photos dans des curriculum vitae, en mettant des gens avec de « beaux looks » issus du grand banditisme… qui ont fortement séduit les employeurs. Et moi-même j’ai tenté l’expérience, en réussissant à tenir un mois en tête des candidats sélectionnés, pour la création et la direction de la filiale française du numéro 2 mondial des chasseurs de têtes – avec siège social aux USA -, alors que j’ai fait des études d’allemand et de latin et que je sais à peine conjuguer le verbe être en anglais !
Se positionner uniquement dans le domaine rationnel vis-à-vis de l’entreprise pour l’insertion des jeunes est une erreur. Il faut agir sur les représentations, le symbolique, l’imaginaire et la confiance. Personne ne discute le point de vue des patrons qui est sacralisé, puisqu’ils offrent cette denrée précieuse qu’est l’emploi. Pourtant, croire que quelqu’un va forcément effectuer mieux son boulot, parce qu’il est plus qualifié paraît étrangement simpliste… J’ai vu des banques (quoi de plus sérieux qu’une banque ?) mettre sous les ordres de chefs de guichet expérimentés de niveau Bac -3, des guichetiers fraîchement recrutés à Bac +2, sous prétexte que le nombre de produits financiers était passé de 3 à 100… Pourtant, dans les faits, seuls quelques rares clients faisaient appel à des services sophistiqués et il aurait suffi pour remplir le besoin, d’un seul expert financier mobile, effectuant une tournée de permanences sur plusieurs sites. Résultat : les déséquilibres de pyramide des qualifications ont créé des tensions dans les services, des conflits inter-générationnels et de la démotivation de part et d’autre dans tout le réseau bancaire.
3/ La relation jeunes / entreprises est de plus en plus redoutée, différée, voire abandonnée
Les jeunes en situation précaire deviennent la majorité. Plus de la moitié de la précarité est assurée par la jeunesse. Les chiffres du chômage diminuent, non par amélioration de la situation, mais par prolongation de la scolarité, par entrées en stages, en formation, etc. C’est dire que l’arrivée sur le marché du travail est de plus en plus différée.
Mais au sein de la jeunesse, on repère des clivages entre les plus chanceux et les autres. D’où la montée de la « non-demande », qui n’est autre que l’expression de la perte de confiance des jeunes face aux institutions. Dans une enquête que j’ai effectuée sur le bassin d’emploi de Meaux, un cinquième seulement des jeunes chômeurs était déclaré à l’ANPE. D’où ce délicat paradoxe m’obligeant à prévenir mes commanditaires : si je fais bien mon travail dans un secteur, je peux multiplier le chômage officiel par deux ou trois ! Les jeunes ayant renoncé à s’insérer officiellement, se réfugient dans le giron de la famille-providence qui, en une génération, a vu la durée de sa prise en charge augmenter de 5 ans en moyenne par enfant… D’autres connaissent la spirale de la galère, ou se réfugient dans l’économie illicite. Une des grandes surprises du recensement de 1990, c’est que 10 % des jeunes de 16 à 25 ans dans les quartiers sensibles ne sont répertoriés nulle part : ni à l’école ou l’université, ni en insertion, ni en formation, ni à l’armée, ni au travail… Ils sont « hors circuit ». Ce phénomène s’observe notamment chez les filles, pourtant plus qualifiées. Elles restent à la maison et vivent une période d’« attente passive » (jusqu’au mariage ?), en assurant des tâches domestiques. La «fille au foyer » a remplacé la « femme au foyer» de jadis…
Un des moyens aussi de différer cette rencontre difficile avec l’entreprise est la formation, qui devient une fin en soi, un refuge et de moins en moins une solution. En témoigne l’évaluation que j’ai effectuée en Seine-et-Marne sur le Crédit-Formation (qui s’adresse aux jeunes sortis de l’appareil scolaire sans un premier niveau de qualification) : 10 % seulement du public visé par la mesure en sont bénéficiaires. Et sur ces 10 %, 1/3 seulement atteint l’objectif, soit 3% de taux de réussite. Prendre 30 marteaux pour enfoncer un clou représente un coût exorbitant pour la nation… D’où le titre d’un article que je projette d’écrire pour Futuribles : « l’État peut-il continuer à raccommoder un pull-over dont le trou fait 90 % de la surface ? ».
Bien entendu, toutes ces mesures ne profitent pas en priorité aux jeunes en difficulté, à la dérive. Toutes, elles sélectionnent les plus favorisés de ces exclus. Ainsi, le traitement de l’exclusion génère aussi sa propre relégation…
Face à un tableau aussi sombre, quelles actions possibles ?
1/ Renouer la relation entre deux partenaires, et non un quémandeur et un despote
La relation entre la jeunesse et les entreprises est une relation brisée, des deux côtés. Aucune solution simple n’existe dans le cas d’une « fracture » du lien social, plus qu’une rupture. Les deux partenaires ont peur, les deux sont coupés du réel. Il faut reconstituer les conditions du dialogue.
Le fait de prétendre que « les entreprises créent l’emploi », que ce sont elles qui savent, leur donne une légitimité exagérée, univoque. C’est oublier bien vite que c’est aussi celles qui suppriment les postes de travail. Il y a surestimation du rôle de l’entreprise qui devient star et comme toutes les stars, fait des caprices. Elle en rajoute : elle veut des garanties, multiplie les exigences, les discriminations. Elle réclame des jeunes avec « expérience ». Mais comment l’acquerront-ils s’ils ne peuvent pas entrer dans l’entreprise ?…
Le fait de ne considérer que l’Emploi, avec d’un côté une offre et de l’autre une demande, voire une « supplique » d’emploi, ne rend pas possible la négociation. Pour négocier, il faut être deux, à égalité de part et d’autre de la table, et non pas l’un, misérable, dans un antichambre et l’autre, derrière un bureau design. On ne négocie qu’un partage.
Dans une vision simplifiée à l’extrême, on confond allègrement Travail et Emploi, qu’il faut pourtant impérativement distinguer dans la conduite de la négociation. C’est l’entreprise qui emploie – certes -, mais c’est le travailleur qui travaille. Ce sont les marins qui œuvrent sur le bateau, ce n’est pas le capitaine, qui a suffisamment à faire pour piloter son navire et le conduire avec son chargement à bon port. Il faut donc considérer deux offres et non une. Une offre d’emploi et, en regard, une offre de travail. Il faut revaloriser cette notion de Travail… de ressources humaines. Car la jeunesse est une ressource et non un problème !
2 / Entre ces deux offres, le décalage, souvent énorme, nécessite l’introduction d’une fonction « médiation » qui permet de réduire l’écart
Cette fonction Médiation suppose l’existence d’intermédiaires entre les jeunes et les entreprises qui recréent de la confiance, du lien social. Si les gens n’ont pas envie de se marier, ça ne sert à rien de rajouter des cadeaux dans la corbeille, de confectionner le costume ; et de pondre de nouvelles mesures d’incitation gouvernementales. C’est le désir, la confiance qu’il s’agit d’abord de restaurer…Ces médiateurs remplissent une tâche difficile. Ils doivent être polyglottes : parler plusieurs langages. Ils doivent parler la langue de l’entreprise et rediscuter les offres d’emplois. Mais ils doivent aussi parler le langage de la jeunesse et leur rendre motivation et confiance.
Voici un exemple vécu à Pantin, en Seine-St-Denis : une entreprise souhaitait recruter 10 secrétaires bilingues. Qualités exigées : Bac + 2 et « excellent niveau d’anglais ». L’ANPE avait eu beau ratisser ses fichiers dans une trentaine d’agences alentour : il y avait bel et bien des demandeurs d’emploi, mais sur ce total, personne ne possédait le niveau d’études et d’anglais requis. Pourtant, en y regardant de plus près, et en allant dans l’entreprise faire une étude des postes de travail, l’analyse des besoins paraissait quelque peu erronée. Il s’agissait d’une société de tuyauterie industrielle, spécialisée presque uniquement dans l’import-export. Examinons les compétences demandées : à chaque appel téléphonique, la secrétaire devait dire bonjour aimablement en anglais, s’enquérir du modèle dont il s’agissait (il y en avait une vingtaine), prendre la commande et l’adresse de livraison, éventuellement orienter le client vers le service après-vente, et dire au revoir d’une voix agréable. Une centaine de mots-clés était à peine nécessaire. Alors, pourquoi ne pas former une dizaine de chômeuses d’un niveau courant d’anglais ( classe de seconde, soit Bac -2) à ces postes, moyennant une formation à cette centaine de mots-clés ? 40 h de cours suffisaient, à condition que la formation soit ciblée pour ce poste… En une semaine, l’entreprise qui cherchait depuis plusieurs mois, en vain, du personnel sur-qualifié, a pu disposer d’une main-d’oeuvre adaptée exactement à ses besoins et pour un coût moindre.
Dans cet exemple, le service rendu à l’entreprise était bien meilleur, et pourtant le niveau de qualification de la main-d’oeuvre était bien moins élevé. Il avait fallu pour réussir cette médiation, des spécialistes de la main-d’oeuvre locale (l’ANPE, les formateurs) et des spécialistes de l’emploi (le conseiller en entreprises). L’employeur n’était plus tout seul face à la formulation de sa demande, mais il avait bénéficié de la compétence de ses partenaires, de la connaissance fine du marché du travail, d’une étude de poste… L’offre de formation n’arrivant qu’ensuite, en troisième position pour ajuster l’adéquation entre Emploi et Travail.
À l’issue de cette expérience, a été créé à Pantin, à la Maison des alternatives, le réseau Réponse qui réunit une cinquantaine d’entreprises qui mettent ensemble leur savoir avec des formateurs, l’ANPE… pour faire de la gestion prévisionnelle de l’emploi sur leur territoire. Cette association regroupe aussi bien la société Hermès que l’artisan du pressing du centre commercial.
Aujourd’hui, plus personne ne négocie, alors que cela n’a jamais été aussi nécessaire. L’ANPE, surchargée par les files de chômeurs qui s’allongent, ne sort plus et fait de l’accueil de publics en continu. Les conseillers n’ont plus le temps d’aller visiter les employeurs, leur surcharge de travail explique qu’ils ne traitent plus que le volet Main-d’œuvre, sans le volet Emploi.
De leur coté, les maires ont perdu tout sens critique et au lieu de sélectionner des entreprises dont les profils correspondent à leurs populations, déroulent le tapis rouge devant les créations d’emplois mirifiques qu’on leur promet, quelles qu’elles soient. A Cergy-Pontoise, on accueille de plus en plus d’activités, et en même temps on enregistre un des plus forts taux de chômage du département. Car la relation entreprise/ main-d’oeuvre n’est pas pensée… Disneyland a coûté 500 000 F par emploi… Sur le chantier, on y parle toutes les langues sauf le français, parce qu’on n’a pas négocié. Mais comment refuser 10 200 emplois ?
Les formateurs non plus ne discutent pas. Ils épousent la demande des entreprises sans l’analyser, sans vérifier si elle est justifiée. On part du principe que les entreprises savent ce qu’elles veulent, savent prévoir, alors que la plupart naviguent à vue, gèrent leur personnel à 6 mois, ignorent tout de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Et perçoivent la main-d’oeuvre comme une contrainte, et non comme une ressource.
Les parents ne négocient pas non plus pour leurs enfants, parce qu’eux-mêmes ont peur pour la pérennisation de leur propre poste et se réfugient dans le « travail trop », croyant ainsi sauvegarder leur emploi. Par leur attitude, ils scient la branche sur laquelle toute la famille est assise : ils contribuent à accaparer le travail qui après manque à la génération suivante. Ils alourdissent ainsi la tâche de la famille-providence, qui doit assurer davantage.
Il y avait autrefois des gens qui défendaient les travailleurs, c’était les syndicats. Mais aujourd’hui qui défend les travailleurs-candidats potentiels ? Il y a aujourd’hui autant de chômeurs déclarés que de syndicalistes… Qui s’en occupe ? Ce n’est pas une marche qui manque dans le parcours d’insertion, c’est tout un étage qui sépare les jeunes des entreprises. Pour franchir une telle distance, il n’y a pas trop des parents, des formateurs, des municipalités, des administrations, de tous les médiateurs de bonne volonté… Et bien sûr dans les premiers rangs, des travailleurs sociaux. A condition qu’il y ait cette conscience sociale partagée de deux systèmes Emploi et Main-d’Oeuvre en inter-relation qui ne s’emboîtent pas par miracle : il faut cette mise en phase, cette mise en face dans un rapport égalitaire.
Jacqueline LORTHIOIS, Juin 1992
[1]Malheureusement, ce projet n’a jamais vu le jour, faute d’avoir réuni l’ensemble des financements nécessaires.
[2]On voit ici les prémisses de ce qui va devenir le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) créé en mars 1994, une des mesures issues de la loi quinquennale pour l’emploi portée par le gouvernement d’Edouard Balladur. Un contrat à durée déterminée avec une rémunération calculée selon l’âge du jeune embauché (30% pour les 16/17 ans ; 50% pour les 18/20 ans, 65% pour les 21 ans et plus et 80% pour les Bac +2 chômeurs depuis au moins 6 mois). Cette mesure a été retirée, par suite de l’intense mouvement de protestation qu’il a suscité, notamment chez les jeunes.