Politique de la ville et ESS : Initiatives, analyses et éclairages

Agir pour et avec les habitants, créer des emplois et des activités socialement utiles, répondant aux besoins des habitants : la politique de la ville et l’économie sociale et solidaire (ESS) ont de nombreux objectifs communs.

Les liens existent entre les politiques publiques de l’Economie Sociale et Solidaire et de la Ville. Ils sont toutefois à approfondir et à révéler plus largement.

Bâti sur des expériences réussies et des témoignages de collectivités concernées par la politique de la ville, alimenté par les échanges d’une rencontre organisée le 15 décembre 2015 avec le soutien de Plaine Commune, ce guide doit être une source d’inspiration : il montre ce qui est concrètement possible, et donne quelques éléments de méthode.

Grand bétonnage : “Sur l’emploi, aucune promesse n’a été tenue”

Entretien avec Jade Lindgaard – Médiapart 13 août 2015

Spécialiste de l’emploi en Île-de-France, Jacqueline Lorthiois a été conseillère technique dans plusieurs cabinets ministériels et délégations, responsable d’un bureau d’études, et a longtemps enseigné. Cette socio-économiste a cofondé la coopérative Réseau de l’économie alternative et solidaire (REAS), ainsi que le Mouvement de l’habitat groupé autogéré, qui a monté les premières expériences d’habitat participatif et de coopératives d’habitants. Elle a aussi été candidate aux élections départementales de 2015 dans le Val-d’Oise pour EELV.

Aéroport de Notre-Dame-des-Landes, tunnel ferroviaire Lyon-Turin, Center Parcs dans la Vienne et l’Isère, centre commercial et de divertissement EuropaCity en région parisienne, etc. : tous ces projets d’aménagement du territoire affichent d’ambitieux objectifs de création d’emplois. Cela s’est-il vérifié dans l’histoire des infrastructures en France ?

Jacqueline Lorthiois. Elles ont créé des activités et de l’emploi. Mais à ma connaissance, jamais autant que le nombre d’emplois promis. Aucune promesse n’a été tenue. Par exemple, en 1975, le rapport Lachaize, du nom de son préfet rédacteur, prévoyait la création de 70 000 emplois sur le pôle de l’aéroport de Roissy, alors tout juste inauguré (en 1974). Mais en 1978, les résultats du recensement Insee ne comptabilisent que 18 000 postes. Et encore, en ratissant large : il a fallu intégrer dans ce chiffre la totalité du personnel de l’aéroport, notamment ses 5 000 navigants qui ne posaient pas le pied à terre.

Aujourd’hui encore, ça dysfonctionne. Aéroports de Paris déclare 86 000 emplois directs pour Roissy. Les actifs locaux tentent de trouver du travail à l’aérogare mais un tel site ne constitue pas véritablement un pôle d’emplois, offrant une palette suffisamment large de compétences et de qualifications pour fournir les emplois nécessaires aux habitants. C’est plutôt ce qu’on appelle un pôle d’activités, c’est-à-dire une concentration d’entreprises spécialisées dans quelques branches professionnelles (aéronautique, logistique, nettoyage, sécurité…). Résultat : l’aéroport recrute sur une aire diffuse, immense, qui s’étend sur toute l’Île-de-France et une partie de la Picardie. Plus Roissy grandit, moins son aire directe est dense en emplois.

Le problème, c’est qu’on crée une offre locale de logements pour attirer les actifs non résidents. Mais ces nouveaux habitants ne trouvent pas à s’employer sur place. On doit donc créer des transports pour leur permettre d’exporter chaque jour, au loin, leur force de travail. Tout cela engendre des surcoûts qui engendrent une demande de croissance économique locale et donc de développement de nouvelles activités. C’est une histoire sans fin. Autre exemple éloquent : le parc Euro Disney, ouvert en 1992. On a promis jusqu’à 100 000 emplois, alors qu’il y en a 15 000 aujourd’hui, et que lorsqu’il a été inauguré, il n’y en avait que 12 200.

Retrouve-t-on le même problème avec les projets actuellement en développement ?
Sur le triangle de Gonesse, Immochan, la société immobilière d’Auchan, veut construire EuropaCity, prévu pour 2020 : 240 000 m2 de centre commercial, 20 000 m2 de restaurants, 50 000 m2 de parc d’attractions, une piste de ski, des salles d’exposition et de congrès, 12 hôtels… Au départ, ils annonçaient la création de 20 000 emplois, parce qu’ils additionnaient les chiffres des emplois du chantier à venir (10 000 selon eux) et de l’exploitation des sites (11 500). Mais ce n’était pas correct : les emplois se succèdent, ils n’existent pas en même temps. Par ailleurs, le temps des chantiers employant 10 000 personnes est révolu. Je conteste ce chiffre. Le chantier d’Eurotunnel dans les années 1980 a employé 10 000 personnes mais c’était pour construire 55 km de tunnel dont 35 sous la mer. C’était le plus grand chantier de France. On ne peut pas prétendre qu’EuropaCity, avec ses 30 hectares, va créer autant d’emplois qu’Eurotunnel. C’est absurde.

Actuellement, le plus grand chantier du pays, c’est l’EPR de Flamanville : 120 hectares, 300 000 m3 de béton, 500 000 m3 de coffrage, 40 000 tonnes d’acier et de béton armé. C’est considérable. En 2011, il employait 3 200 ouvriers, dont un millier d’étrangers (Roumains, Bulgares, Italiens, Espagnols) travaillant pour des filiales de Bouygues. Au départ, Pôle emploi a fait circuler un « train de l’emploi » qui a traversé tout le Cotentin, et a attiré des centaines de chômeurs. Mais très peu ont été recrutés. En 2011, 479 demandeurs d’emploi ont été embauchés sur le chantier après avoir suivi une formation financée par la Région.

L’autre très grand chantier en cours actuellement est ferroviaire : la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, aussi appelée Sud Europe Atlantique. Ils construisent 350 km de voies, 400 ouvrages d’art, 19 viaducs. On décompte 50 millions de m3 de déblais, 1 million de traverses en béton. 117 communes sont concernées. C’est gigantesque. Combien de personnes y travaillent ? 4 500 salariés directs, dont 3 200 fournis par Vinci. Donc en réalité, seuls 1 300 emplois directs ont été créés le long du parcours, eux aussi successifs, dont 400 emplois en insertion. Il y a aussi 1 300 emplois pour les sous-traitants et fournisseurs.

Pourquoi un tel décalage numérique entre les emplois promis et ceux créés ?

Il faut comprendre comment fonctionne un chantier : d’abord les terrassiers creusent les trous, et manient les énormes bulldozers. Après viennent les ferrailleurs et les coffreurs-boiseurs qui édifient le béton armé. Puis les techniverriers débarquent pour faire les fenêtres. Les électriciens posent l’électricité. Ensuite, c’est le tour des plombiers, des soliers qui posent les moquettes, etc. À la fin, les finisseurs réparent toutes les imperfections. Ces corps se succèdent et ne sont pas présents en même temps sur place. Ils ne vont pas poser les canalisations en même temps que les moquettes. De plus, le taux de productivité a beaucoup augmenté ces dernières années, avec la mécanisation et la livraison de pièces toutes faites. Je passe souvent observer les chantiers de prolongement de la ligne 14, porte de Clichy, dans le quartier des Batignolles. Vous n’avez jamais plus de quelques dizaines de personnes en même temps.

Prenez le chantier du centre commercial Le Millénaire à Aubervilliers. Il y a eu jusqu’à 600 personnes à un moment sur le chantier. Ils ont formé 10 à 15 jeunes sans qualification. Au total, 20 % des personnes embauchées étaient issues du 93. Ce ne sont pas des milliers d’emplois, alors que 500 000 actifs habitent en Seine-Saint-Denis. Pour le centre commercial Quartz, à Villeneuve-la-Garenne, la mairie était enchantée car elle avait placé 10 coffreurs-boiseurs lors d’une année sur le chantier. À côté de Roissy, le centre commercial Aéroville promettait 2 500 postes pour son exploitation. En réalité, 1 600 emplois ont été créés. Quand ils ont déposé leur projet en 2008, ils tablaient sur 80 millions de passagers à Roissy en 2012, alors qu’ils sont aujourd’hui 62 millions. Ils se sont trompés de 20 millions.

Les modes de calcul et d’estimation des emplois créés ne sont-ils pas à revoir ?

Il existe différentes manières d’apprécier la création d’emplois. En fonction de celle que l’on choisit, on peut artificiellement faire grossir les retombées escomptées. Par exemple, dans le cas de l’aéroport de Roissy, le Val-d’Oise « s’attribue » 101 000 emplois, alors que l’aéroport couvre en réalité trois départements. Ou encore, Air France indique l’ensemble de son effectif au siège social de Roissy, englobant les activités situées à Tremblay mais aussi la part revenant à Orly (un tiers du trafic).

Il y a aussi le problème posé par la notion d’emplois induits, qui est un véritable mensonge. Par effet induit, on entend les retombées liées au fait que les entreprises travaillant sur le site distribuent des rémunérations qui permettent à leurs salariés d’effectuer des dépenses et donc de soutenir une activité économique, elle-même génératrice d’emplois.

Par exemple, pour les 12 200 emplois d’Euro Disney, on prend les salaires versés au personnel, on les rapporte au lieu d’habitat des salariés, et on considère qu’ils réalisent 100 % de leurs dépenses sur leur lieu d’habitation et qu’ils soutiennent le petit commerce, la restauration, etc. Mais c’est idiot. Vous n’achetez pas tout sur votre lieu d’habitat : si vous allez au cinéma à Paris quand vous habitez à Gonesse, ou quand vous partez en vacances, vous dépensez votre argent ailleurs. Cela produit des doubles comptes.
Imaginons un touriste qui passe trois jours en France, dont un à Disney, un autre au Mont-Saint-Michel et un autre aux châteaux de la Loire. À qui attribuer le mérite de ses dépenses avec ce système de comptage ? Elles vont être comptabilisées trois fois. La méthode de mesure est absurde. Si vous additionnez tous les emplois induits annoncés en France, vous obtenez beaucoup plus que le nombre d’emplois réels.

Admettons qu’ EuropaCity ouvre, nous sommes en 2025, je suis touriste, je passe trois jours en France, je vais faire du ski à EuropaCity plutôt que de le passer à Disney. Mais celui-là, on ne le comptera pas en moins des emplois induits de Disney. Quand Disney a ouvert, il a volé des emplois à la tour Eiffel, aux châteaux de la Loire et au Mont-Saint-Michel. Rien ne prouve que ce ne sont pas des déplacements de consommation. Les gens n’ont pas le porte-monnaie élastique. Ce n’est pas parce que l’on augmente l’offre de sortie, que cela va augmenter les dépenses.

La métropole du Grand Paris (MGP) en douze territoires

Une métropole qui ne tient pas ses promesses

Le but avoué de la MGP était de changer d’échelle et de prendre de la hauteur par rapport au cadre trop étroit de la commune, de dépasser les clivages entre territoires riches et pauvres (par exemple le 92 comparé au 93) en s’affranchissant des limites départementales, de rééquilibrer les inégalités territoriales et de créer un grand espace de solidarité globale qui permettent de partager les ressources, en appliquant des règles d’égalité et d’équité.

C’est le préfet de la région Île-de-France qui au nom de l’État assure la responsabilité d’arrêter le périmètre des territoires de la MGP, comme le stipule l’article 12 de la loi MAPTAM.

La loi Grand Paris de Nicolas Sarkozy qui a introduit le régime d’exception de la métropole francilienne n’a pas été abrogée par le gouvernement socialiste. En conséquence, la MGP reflète deux grands principes issus de cette loi de 2007.

Pour un Grand Paris des habitants

Les 15 équipes pluridisciplinaires d’architectes, urbanistes et chercheurs réunies au sein de « l’Atelier International du Grand Paris » (AIGP) ont travaillé pendant un an sur le thème « Habiter le Grand Paris ».

Sujet de leur réflexion : « L’objectif particulièrement ambitieux de construire 70 000 logements par an en Île-de-France constitue un véritable défi. Où construire ces logements ? Quand ? Comment ? Quoi construire et pour qui ? Que faire pour qu’ »Habiter le Grand Paris » devienne une réalité partagée par tous ? »

Ces travaux ont fait l’objet d’une exposition du 1er au 7 Juillet 2013, dans les locaux du « Cent-quatre » à Paris 19ème.

Parmi ces présentations, signalons le travail original et tout à fait intéressant conduit par l’une de ces équipes rassemblée autour du cabinet d’architecte Christian Devillers et associés, intitulée « Les Urbanistes associés »[1] et présenté dans cette vidéo qui a été projetée lors de l’exposition.

Cette recherche est décrite plus longuement dans le texte de synthèse « Aménager le Grand Paris à partir de ses bassins de vie : « Pôles-réseaux-Territoires » du 30 Mars 2013, qui se trouve sur le site de l’AIGP http://www.ateliergrandparis.fr/aigp/conseil/devillers/UrbanistesAssociesHabiter2013.pdf

Cette démarche consistait à vérifier scientifiquement avec une modélisation informatique les hypothèses suivantes :

  • les liaisons domicile-travail en IDF ont une fonction structurante sur les territoires et il est pertinent d’étudier spécifiquement ce type de flux ;
  • il n’y a pas un seul bassin d’emploi en Ile de France que les habitants traverseraient d’un bout à l’autre de la région d’Ouest en Est ;
  • Les flux domicile-travail s’organisent en réseaux, pôles et territoires qui déterminent des « bassins de vie ».

L’étude a montré qu’il existe plusieurs types de pôles en Île de France :

  • un « soleil » constitué par Paris/ la Défense qui rayonne sur l’ensemble de la région ;
  • des « étoiles » qui ont un rayonnement très large (de type Roissy) ;
  • des « zones intenses » d’attraction plus locales autour de pôles qui déterminent des territoires de bassins de vie (exemple le plus typique : les deux zones emboîtées St Quentin-en-Yvelines/ Versailles).

J’ai participé à ces travaux en toute fin de parcours de recherche, pour apporter des précisions sur les différents niveaux d’emboîtements, clarifier la distinction entre bassins de main d’œuvre / bassins d’emplois (flux centrifuges et centripètes) et identifier ce que j’ai appelé les pôles « hydroponiques » (cf Roissy, intitulés « étoiles » dans l’étude Devillers) avec une aire directe très faible et une aire diffuse gigantesque. L’équipe m’a permis à mon tour de clarifier la notion de « zone intense » qui constitue pour moi le recoupement entre un bassin de main-d’œuvre et un bassin d’emploi et que j’appelais abusivement autrefois « bassin de vie ». On en trouvera une illustration dans mon texte « concepts généraux » avec l’exemple des 3 cartes superposées d’Argenteuil.

Le grand mérite des travaux de l’équipe Devillers est d’avoir démontré scientifiquement et systématisé à l’échelle régionale ce que certains vérifient depuis longtemps dans leur activité d’aménagement et d’urbanisme sur les territoires franciliens (dont J.L. HUSSON et moi-même) : rien n’est moins fluide que l’Ile de France et rien n’est plus segmenté que les liaisons domicile-travail. A ma connaissance, une telle analyse globale et systématique n’avait pas été entreprise depuis les études de J.J. RONZAC sur les « zones de solidarité » de l’IAURIF en 1982. Il serait d’ailleurs extrêmement intéressant de comparer les deux découpages à 30 ans d’écart. Et les études de J.L. HUSSON et moi-même sur les 50 bassins d’emplois de l’Ile de France pour l’ANPE en 1987-1990.

Les travaux tout à fait remarquables de l’équipe Devillers battent en brèche la vision simpliste de Christian Blanc d’un Grand Paris d’un seul tenant dont il suffirait de relier les « pôles d’excellence » par un grand réseau de transports de transit rapide reposant sur une hypothétique « fluidité » de la métropole. Ils plaident au contraire pour une organisation polycentrique de l’Ile de France autour de « zones intenses » d’échanges à l’intérieur de territoires de 100000 à 400000 habitants, qu’il s’agirait de conforter par une meilleure autonomie, en renforçant l’adéquation actifs /emplois et le maillage en transports de desserte fonctionnant en cabotage local. Ce qui permettrait de développer les « transports évités » et de stopper la croissance inéluctable de 300000 nouveaux flux de déplacements/jour chaque année qui posent des problèmes ingérables de modernisation du réseau de transports existant, dont l’accident de Brétigny-sur-orge constitue le dernier avatar.

On ne peut que souhaiter que cette recherche soit poursuivie par des déclinaisons concrètes sur des territoires. Et pourquoi pas une application en Plaine de France ? Une « Plaine de France des habitants », voilà qui aurait du sens, avec le redéploiement de la « zone intense d’Aulnay-sous-bois », fortement sinistrée par la perte d’un de ses principaux fleurons industriels (PSA) et dont il s’agirait de conduire la reconversion à partir des besoins de ses résidants. Et de l’autre, de développer modérément les fonctions métropolitaines aéroportuaires du pôle « étoile » de Roissy, au lieu de tenter vainement d’intensifier un bassin de vie inexistant, et des fonctions urbaines polyvalentes qui ne peuvent qu’accroître l’étalement urbain sans retombées locales significatives.

[1] Outre le cabinet Christian Devillers et associés (dont Marie Evo), citons Robert Spizzchino, Alain Bourdin, Jean-Michel Roux, DTZ…

Mon avis sur le projet de SDRIF 2013

Saluons la publication et le vote du SDRIF de 2013, qui permettra à la Région de disposer bientôt d’un document de planification actualisé qui manquait cruellement, en l’absence de validation du SDRIF de 2008.

Ainsi, la Région peut s’affirmer aux côtés de l’Etat comme acteur incontournable de l’aménagement du territoire francilien.

Réjouissons-nous également de l’intégration d’un 4ème défi (p.42 du Volume Défis/Projet) aux côtés des 3 autres déjà indiqués dans le précédent SDRIF (promouvoir davantage de solidarité, faire face aux mutations de l’environnement, préparer la transition économique, sociale et solidaire) : le défi alimentaire. Ce qui donne une importance accrue à la préservation des terres agricoles et notamment aux espaces ouverts, qui constituent autant de “pénétrantes” situées entre les “doigts de gants” de la zone urbanisée dense, formant de précieux espaces de respiration dans un univers minéral. En effet, on ne peut accepter que l’Île de France, une des régions agricoles les plus riches d’Europe, fournisse à ses habitants moins de 10% de leur production alimentaire. Toutefois, il ne suffit pas d’afficher le défi alimentaire, il faut aussi prévoir les moyens de le mettre en œuvre. Or, constatons que la consommation de terres agricoles est à peine moins élevée que celle de la période précédente : environ 1800 à 1850 ha / an. On continue à artificialiser les sols, à morceler notre ceinture verte et nos espaces ruraux considérés comme des réserves foncières à disposition des citadins, à boucher les trous de la zone dense (plaines de Montesson, d’Argenteuil, de Montjean, triangle de Gonesse) à sacrifier les franges de l’agglomération (plateau de Saclay, plaine de France) et à prolonger les rubans d’urbanisation dans les vallées (Seine-aval au-delà de Mantes ; Seine-amont au Sud d’Evry/ Sénart, vallée de Marne à l’Est d’Euro Disneyland… )

Nous approuvons la volonté politique affirmée dans le SDRIF de protéger nos terres agricoles, mais nous demandons qu’elle se traduise dans les faits par une baisse significative de la destruction de notre patrimoine nourricier régional, non renouvelable, avec diminution progressive de l’étalement urbain sur ces espaces agricoles, jusqu’à une consommation nulle à terme.

I. L’INTEGRATION DE LA LOI « GRAND PARIS » DANS LE SDRIF

Malheureusement, pendant la période de vacance liée à la non validation par le Conseil d’Etat du SDRIF de 2008, le gouvernement Sarkozy a profité de la fragilité politique de la région pour imposer en Juin 2010 sa loi « Grand Paris » qui a introduit un régime d’exception en Ile de France, permettant ainsi la mainmise du pouvoir présidentiel sur la région capitale.

¨ Cette décision bafoue l’organisation d’une gouvernance de plein exercice au niveau régional et le « principe de subsidiarité » cher à l’Europe ; elle introduit une distorsion de traitement au sein des régions françaises.

Cette loi avait pour objectifs affichés :

  1. de “garder son rang à Paris” dans la dizaine de “villes-monde” de la planète ;
  2. de régler la question de la saturation des transports et du retard pris dans l’amélioration des liaisons banlieue-banlieue et la modernisation du réseau existant ;
  3. d’accélérer la production de logements très insuffisante au regard des besoins ;
  4. d’organiser l’urbanisation prioritaire du plateau de Saclay.

    La loi « s’imposant », le SDRIF d’Île de France a dû intégrer ces dispositions de la loi Grand Paris, introduisant des objectifs incompatibles avec les 4 défis cités plus haut.

Car examinons dans l’ordre ces 4 points d’un point de vue écologique.

1/ Permettre à Paris de conserver son rang de “ville-monde”

a / La vision développée dans le Grand Paris qui repose sur une confusion entre « taille » et « performance », entre « croissance » et « développement », semble singulièrement démodée au regard des valeurs du développement durable affichées dans le SDRIF. Et que ridiculise l’hégémonie réelle de la vraie capitale économique de l’Europe continentale, cinq fois plus petite : Francfort !

Dans le document de présentation du SDRIF intitulé « Vision régionale » (p. 52 et suiv.) nous approuvons les valeurs de l’écologie citées : proximité, solidarité, soutenabilité. Des finalités aux antipodes de la démarche Grand Paris qui considère que pour « jouer dans la cour des grands », la « ville-monde » a besoin d’accumuler les populations, les emplois, les activités supérieures et les richesses économiques et financières… Un point de vue repris dans le document «Défis/Projet », pourtant en contradiction avec la « Vision régionale » citée plus haut. Il y est indiqué (p. 36-37) un classement de l’IDF qui donne le tournis :

– 2ème métropole dans le monde pour l’accueil de sièges d’organisations internationales ;

– 1ère région européenne en termes de recherche et développement ;

– 1ère destination touristique mondiale, 3ème ville de congrès au monde…

Et plus loin (Volume Défis/Projet, p. 39)

– Paris avec plus de 50 millions de m2 de bureaux se place loin devant Londres et New York (33 et 34 millions de m2) !

¨ Faut-il poursuivre cette course au « toujours plus » de compétitivité, de concentration et d’accaparement de richesses, dans un modèle productiviste en décalage complet avec la nécessaire sobriété imposée par les défis écologiques ? Comment les objectifs d’urbanisation issus du Grand Paris peuvent-ils respecter le défi n°2 « anticiper les mutations environnementales » affirmé dans le SDRIF (Volume Défis/Projet, p. 30-31) ?

b/ Sur la densification

Les coupures vertes prévues en amont et en aval des Villes Nouvelles (afin justement de ne pas prolonger l’urbanisation en « doigts de gants ») dans le schéma de Delouvrier ont été largement dévorées :

– on veut urbaniser la plaine de Pierrelaye polluée par les champs d’épandage de la ville de Paris, créant un continuum entre la vallée de Montmorency et Cergy-Pontoise ;

– entre Marne-la-Vallée et Meaux, l’extension de Disneyland/Villages-Nature menace de créer un ruban urbanisé continu à l’Est, sacrifiant au passage deux magnifiques méandres de la Marne (Marne-et-Gondoire);

– Evry et Sénart forment désormais un quasi continuum, artificialisant des espaces naturels, alors qu’il s’agissait de deux entités distinctes séparées par la forêt ;

– la vallée de l’Orge accueille de nombreux logements, alors qu’il s’agit d’une des plus grandes « zones-dortoirs » d’Ile de France et qu’on devrait y privilégier les activités ;

– les 1 000 ha du Triangle de Gonesse au Sud de Roissy souffrent d’un mitage progressif (zone logistique des Tulipes) et 700 ha d’excellentes terres agricoles sont menacées par le complexe « EuropaCity » qui devrait générer des flux de visiteurs dans une zone à risques en limite de l’aéroport… sans compter un golf de 90 ha à Roissy, dans le périmètre d’un PRIF. Alors qu’il faudrait maintenir des espaces cultivés pour préserver la qualité de l’air dans la zone la plus polluée d’IDF après le Boulevard périphérique.

– au Nord, la plaine de France est menacée par un continuum allant de Goussainville à la frontière de l’Oise, au prétexte d’un « éco quartier » d’habitat sans emplois à Louvres, risquant de générer des dizaines de milliers de flux domicile-travail en début de ligne D du RER saturée ; sans compter une débauche de zones commerciales et de transport-logistique au Nord.

– la pérennité des plaines Montjean, de Montesson, d’Argenteuil n’est pas assurée (elles ne bénéficient pas d’un « front urbain ») ; l’équilibre économique de l’agriculture de plateau de Saclay est menacé avec la disparition de plus de 15% de ses terres agricoles ;

– un centre d’entraînement du PSG est prévu sur les terres du plateau des Alluets ;

-les berges de la Seine sacrifiées pour la plate-forme multimodale d’Achères ;

etc, etc.

¨ N’y a –t-il pas une contradiction entre la volonté affichée de préserver les terres agricoles ( qui sont passées désormais en dessous du seuil fatidique de 50% du territoire régional) et la relance de l’urbanisation qui risque de combler tous les espaces libres de la zone dense ? Transformant ce qu’on appelle « la pieuvre » (une tête centrale d’urbanisation dense prolongée par des tentacules qui s’allongent le long des vallées et des axes de communication) en méduse géante [1]… Que devient dans ces conditions l’objectif « facteur 4 » (réduction par 4 des émissions de gaz à effet de serre) à l’horizon 2050 (Volume Défis/Projet, p. 30-31) ?

¨ Les bois et les forêts de la région doivent être sanctuarisés. Leur participation à la lutte contre les GES, mais aussi leur rôle dans l’accueil du public impose une protection renforcée et une gestion adaptée à la conservation de la biodiversité faunistique et floristique. Les continuités écologiques reliant les surfaces cultivées et les forêts doivent être préservées et améliorées pour permettent les déplacements et la reproduction des animaux (cf cervidés) pénalisés par des infrastructures infranchissables.

c/ Sur un plan général

Constatons une concentration record sur l’IDF, cumulant sur 2% du territoire français :

20% de la population
21% des actifs
23% des emplois
29% du PIB
37% des cadres et des chefs d’entreprises
37% de la recherche publique et 40% des dépenses de recherche et de développement
45% des actifs des industries créatives,
84,5% des cadres des emplois de « conception-recherche », etc.
¨ Questions : la région-capitale a-t-elle besoin d’un supplément de “grandeur”?

A-t-elle besoin d’un “plus être” ou d’un “mieux-être” ? Faut-il accepter comme une fatalité qu’en 2030, d’après des projections régionales de l’INSEE [2], il n’y aurait plus que la population de la région capitale qui conserverait un âge moyen inférieur à 40 ans, grâce à sa fécondité, mais aussi à son profil migratoire particulier (accueil d’étudiants et de jeunes actifs, départ de familles avec enfants et de retraités). Tandis que dans un rayon de plus de 400 kms autour de Paris, huit régions connaîtraient un vieillissement notable de leur population : dès à présent la Champagne-Ardenne accuse un déclin démographique et la Lorraine est menacée de stagnation, bientôt rejointes par la Bourgogne et l’Auvergne en 2015, puis le Nord-Pas-de-Calais et la Normandie en 2020-2025, suivis par la Picardie.

2/ Régler la question de la saturation des transports et du retard dans l’amélioration des liaisons banlieue-banlieue et la modernisation du réseau existant

Heureusement, le projet initial du « Grand Paris-express » de Christian Blanc a été fortement modifié lors de la négociation Etat-Région. Soulignons le passage d’un réseau de transit rapide reliant des pôles d’excellence économique entre eux à une fonction de desserte de territoires d’habitat et d’emplois. Le nouveau « plan unique et cohérent » présenté par le Premier Ministre le 6 Mars 2013 tend vers un meilleur équilibre entre la création d’infrastructures nouvelles (200 kms de lignes de métro, 72 nouvelles gares, un volume d’investissements de 26,7 millards €) et l’amélioration des lignes existantes. Ce dernier volet représente 6 milliards d’investissements et correspond en bonne partie au « Plan de Mobilisation » de la région (prolongement de la ligne 11 à l’Est ; extension du RER E à l’Ouest, schémas directeurs pour les RER A, B, C et D ; création de tangentielles, nouvelles lignes de tramway et de tram trains. )

La commission Transports EELV-Ile de France avait déploré en 2012 un coût total de ces infrastructures très sous-estimé, n’intégrant pas les voies existantes et l’entretien du matériel. Le rapport Auzannet en 2012 est venu confirmer ces craintes. Le « Nouveau Grand Paris » présenté par J.M. Ayrault a proposé un échelonnement des réalisations (de 2025 à 2030) plus plausible et donc un étalement des dépenses. Cependant le bouclage financier est encore loin d’être assuré.

¨ Principales observations :

– Les tracés desservent plutôt la proche banlieue ou la moyenne couronne que la grande couronne : les anciennes villes nouvelles sont exclues du Grand-Paris-Express, notamment Cergy-Pontoise et Sénart. Des investissements devront y être réalisés, tant à l’intérieur des villes et agglos (amélioration des bus existants, équipement si nécessaire en BHNS et en trams dans les pôles urbains les plus importants comme Cergy-Pontoise ou St Quentin-en-Yvelines) qu’en liaisons d’interconnexion entre elles (cf. ligne ferroviaire Tangentielle Ouest Cergy/St Quentin ). Citons également la non-prise en compte de l’agglomération d’Argenteuil (130.000 habitants), 4ème ville d’IDF qui heureusement va bénéficier de la tangentielle Nord.

– Certains axes semblent peu utiles, desservant des zones-dortoirs entre elles (ligne 16 tronçon Clichy-Montfermeil / Sevran) ou des pôles d’emplois entre eux (ligne 17 le Bourget / Roissy). Notons aussi des flux modestes ne justifiant pas des modes de transports lourds (5000 personnes/jour la ligne Versailles/ Massy, alors qu’un métro en réclame 40 000 ) voire une gare en plein champ (Triangle de Gonesse) dans une zone inconstructible (Plan d’Exposition au bruit de l’aéroport de Roissy) qui représente un surcoût de 600 millions d’euros de fonds publics pour desservir un projet d’investissement privé (Europa city).

– Les modes « actifs » de mobilité (en particulier le vélo) occupent très peu de place dans les documents du SDRIF. Or la Région devrait jouer un rôle-clé pour structurer les initiatives locales et rendre des parcours à vélo plus lisibles, plus sûrs et donc plus praticables.

Enfin, et c’est la question la plus importante : ces efforts considérables vont-ils se révéler suffisants ? Ne risque-t-on pas en améliorant l’offre de logements et de transports, de faire grossir l’IDF et d’augmenter massivement la demande? Faut-il réparer un système à bout de souffle ou changer de système ?

– à l’échelle nationale : décentralisation vers des métropoles d’autres régions et notamment le Bassin Parisien ;

– à l’intérieur de l’IDF : relocalisation de l’emploi près de l’habitat, développement du polycentrisme en grande banlieue avec un maillage interne permettant la réduction des besoins de transports de proximité à la source, création de nouvelles offres, transformation des modes d’habiter [3] (habitat coopératif, participatif), de travailler (télétravail), de se déplacer ( transports doux), etc…

La loi Grand Paris a fixé un objectif très ambitieux de 70.000 logements par an. L’IAU avait estimé que pour les besoins propres de l’IDF, il suffisait de 60.000 logements / an. Le “plus 10.000” est lié à une volonté du gouvernement Sarkozy d’un accroissement démographique sans précédent de l’IDF, au nom d’un triomphalisme transformant la métropole en « mégalopole » (A. Lipietz). Reconduire cette volonté hégémonique n’est pas sans conséquences : la concentration des fonctions supérieures sur l’agglomération parisienne siphonne la population jeune qualifiée de toutes les régions françaises. De 2001 à 2006, la région a gagné près de 110.000 jeunes de 18 à 29 ans, dont 1/3 d’étudiants et 22.000 en provenance de l’étranger. 44% de ces «entrants » ont un diplôme de 2ème ou 3ème cycle universitaire [3].

En échange de ces “gares” miraculeuses fléchées pour devenir les nouvelles polarités du territoire, on demande aux villes d’accueil d’opérer un effort massif de logements, en densifiant prioritairement autour des gares. C’est ainsi que la loi Grand Paris a décliné les objectifs régionaux en fixant pour chaque commune des « Territorialisations de l’Offre de Logements » (TOL), liées au futur réseau express. Toutefois, les collectivités et associations locales expriment des réticences à construire en anticipant l’arrivée des transports, alors que certaines mises en service sont programmées à l’horizon 2025-2030.

Mais bien des interrogations demeurent :

  • Le SDRIF table sur une relance de l’économie avec une hypothèse de croissance de +2,5% par an qui paraît hors de portée, non seulement à court terme, mais sur la longue durée. De nombreux experts (pas seulement écologistes !) ne croient pas à une « crise passagère » suivie d’un redémarrage de la croissance, même faible.
  • les objectifs logements / emplois sont inatteignables.

De plus, sont-ils souhaitables ? Ces objectifs purement quantitatifs cachent des inégalités qui s’accroissent. Ils ne tiennent pas compte des évolutions récentes.

  • Sur le Logement, on enregistre un fort ralentissement de la construction [4] au cours de la dernière décennie, avec une moyenne de 37000 logements mis en chantier / an de 2000 à 2009, malgré une reprise en 2010-2012 (45000) on est loin de l’objectif retenu. Par ailleurs, en l’absence d’une réelle solidarité territoriale, les risques de ghettoïsation accrue apparaissent fort élevés : le parc de logements sociaux demeure très inégalement réparti, avec moins de 200 communes (sur 1300) qui concentrent 90% du total [3].
  • Sur l’emploi : il est indiqué l’objectif irréalisable de 28 000 emplois par an (Défis, projet p.40). On ne voit pas comment, alors qu’on n’a enregistré que 25 000 postes/ an au cours des 20 dernières années, en période de croissance significative, on pourrait accélérer ces créations en période de récession. Affirmer être « volontariste » relève de la méthode Coué. Une simple reconduction du rythme précédent de 25000 postes annuels (déjà ambitieux) avec une hausse de 900 000 habitants dont la moitié d’actifs, signifierait de valider d’ici 2030 un déficit supplémentaire de

200 000 emplois en IDF.

Soulignons que la concentration des activités est très élevée dans notre région, avec 30 communes qui cumulent la moitié des postes de travail. De plus, la reprise d’une croissance de l’emploi en 2012 de + 0,5% cache des disparités fortes entre activités, avec une baisse de 0,6% dans l’industrie (perte de 33 700 postes depuis 2008) une hausse de 0,4% dans les services marchands (+ 13500 postes en un an) et de + 3% dans la construction. C’est l’intérim qui enregistre le plus fort déclin (-9,1%, perte de 8600 postes). Au total, on observe une pénalisation grandissante des actifs les plus fragiles et les moins qualifiés.

– En matière de transports, ceux-ci doivent-ils être au service des besoins des populations, ou financer les investissements immobiliers ? Les gares qui sont des lieux de transit, par nature centrifuges, peuvent-ils se transformer impunément en « lieux de vie » centripètes, au risque de pénaliser les « cœurs de ville » actuels ?

3/ organiser l’urbanisation prioritaire du plateau de Saclay

Dans le concours international d’architecture et d”urbanisme lancé par l’Etat en 2005, les objectifs annoncés étaient très ambitieux : ville en réseau branchée sur les pôles de recherche mondiaux, création d’innovations scientifiques et techniques porteuses de richesses et d’emplois de toutes qualifications, systèmes de constructions et de transports économes en énergie sans émanation de gaz à effet de serre, habitats favorisant les mixités sociales et fonctionnelles, mode de vie / mode de ville 24/24 attractifs pour tous les âges et catégories sociales, transports innovants pour circuler à toutes les échelles, urbanisme préservant les terres agricoles et les possibilités de productions maraîchères…

Pour mener à bien un tel projet de développement sur cet espace essentiellement agricole, l’Etat a engagé des moyens techniques et financiers considérables :

  • mise en place de 3 pôles de compétitivité (Systématic, Médicen et Movéo) ;
  • plan Campus ;
  • création d’une Opération d’Intérêt National (OIN) dirigée par un Etablissement Public d’Aménagement.

Depuis, les intentions louables du projet initial ont été largement revues à la baisse pour plusieurs raisons :

  • l’opposition des associations locales d’environnement et du cadre de vie qui ont obtenu la sanctuarisation de 2300 ha de terres agricoles (sur 2700) ;
  • la résistance des collectifs de chercheurs ;
  • les communes de départ des grandes écoles et laboratoires (Clamart, Antony, Chatenay-Malabry, Plaisir-Grignon) sont réticentes à voir partir leurs établissements et fermer les résidences universitaires attenantes ;
  • la crise économique et la révision à la baisse des financements publics, le désengagement de l’état et le remplacement par des spéculations immobilières des grands groupes et des PPP ;
  • le retard dans la programmation et le financement du Grand-Paris-Express.

L’objectif du projet actuel reste de favoriser l’émergence d’un pôle d’innovation de haut niveau scientifique, un “cluster de la connaissance” devant créer une « synergie des Savoirs » avec l’ensemble des grandes écoles, de deux universités, des laboratoires de recherche et d’entreprises privées, rassemblés sur un même espace.

Mais, pour que ce dispositif d’exception puisse fonctionner, il s’agirait d’implanter une “nouvelle ville” artificielle de 50.000 habitants (en rupture avec le concept considéré dépassé de “Ville nouvelle”) pour donner envie aux étudiants, chercheurs et à leurs familles de demeurer sur place, en y trouvant des “fonctions désirantes” d’habitat, d’activités, de loisirs, d’équipements et d’espaces publics attractifs (rues, places, jardins…) Les nouveaux quartiers devant permettre de créer des lieux d’accélération “d’intensité urbaine” (grands projets), mais également des espaces de repli pour la tranquillité, de rapport à la nature, de convivialité et d’éducation à l’environnement, des espaces d’expérimentation innovants en rupture avec les offres habituelles ( habitat, transports, mixité agro-urbaine).

Aujourd’hui, dans un climat d’opposition citoyenne grandissante, les pouvoirs publics ont entamé les premières tranches de travaux sur les terrains appartenant à l’état (Défense, Education Nationale…), démarré les déménagements des grandes écoles, sans l’accompagnement indispensable de projets d’habitat pour relocaliser les actifs, d’espaces publics et d’équipements permettant les conditions d’une véritable “urbanité”. Et surtout sans véritable consultation démocratique.

Principales observations :

¨ Ce projet séduisant en théorie est sorti du rêve technocratique de politiques et d’urbanistes qui ont pensé un projet totalement “hors sol” sans aucune concertation avec les habitants du territoire et les travailleurs concernés.

L’urbanisation de plateau de Saclay repose sur un objectif démodé de “proximité physique” entre laboratoires de recherche et grandes écoles pour pouvoir produire davantage d’innovation-recherche. La « Silicon Valley » censée servir de modèle outre-Atlantique s’étire sur 120 kms et ne présente pas du tout la même configuration. Alors que certains laboratoires de l’université d’Orsay peinent à trouver un million d’euros pour boucler leur budget, chaque déménagement (cf. départ de l’Ecole Centrale de Chatenay-Malabry ) coûte environ 200 millions d’euros. Une première vague d’implantation dans les années 55–75 (CEA, Fac d’Orsay,

Polytechnique, HEC…) sur le plateau de Saclay s’est révélée peu concluante en matière de fédération de projets inter-structures. Le travail en réseau et la dématérialisation rendent encore moins nécessaire aujourd’hui de rapprocher physiquement les établissements [5]. Par ailleurs, constatons que les populations de chercheurs qui travaillent sur ce territoire ont très minoritairement choisi de se loger à proximité (vallées de l’Yvette et de la Bièvre). On risque donc de dépenser des sommes considérables pour une greffe urbaine qui ne prenne pas. D’autre part, rien ne garantit que les fonctions manquantes (services, commerces, loisirs…) viendront s’agréger à ce campus pour le transformer en véritable “ville”, avec une attractivité suffisante pour fixer sur le site les étudiants et chercheurs. Et permettre de rompre la progression des flux habitat / travail entre la capitale et le plateau. Compte tenu de l’atonie de la demande, les infrastructures semblent surdimensionnées et de plus sacrifient d’excellentes terres agricoles qui peuvent contribuer à relever le défi alimentaire IDF.

II. UNE GOUVERNANCE ÉMIETTÉE

Pour répondre aux besoins de croissance de la ville-monde, la loi du Grand Paris a institué des outils d’aménagement nouveaux, les Contrats de Développement Territorial, mis en place par l’Etat, négociés directement avec les territoires locaux. Les CDT mettent en œuvre le développement économique, urbain et social des sites stratégiques (desservis par le réseau de transport public du Grand Paris Express). Ils définissent et planifient le nombre de logements (dont sociaux) à construire, les grandes infrastructures de transports, l’emplacement des gares et le calendrier des opérations. Ils sont soumis à évaluation environnementale. Actuellement, 22 CDT sont en cours d’élaboration. Treize territoires ont signé des accords-cadres et 4 ont validé leur contrat (mais ne l’ont pas encore soumis à l’enquête publique !).

Les CDT ont été conçus pour mettre en application la loi Grand Paris et non le projet régional. D’où des difficultés de mise en œuvre : l’addition des objectifs locaux ne garantit pas un «intérêt régional » global : ils sont davantage juxtaposés que mis en cohérence, quand ils ne sont pas concurrents entre eux. De plus, les CDT rajoutent une couche au «mille-feuilles administratif », car si certains se superposent à des intercommunalités, d’autres en englobent plusieurs, ou n’en couvrent qu’une partie, chevauchent des départements… (Voir le cas caricatural de « Campus Science et Santé » qui ne correspond à aucune institution de la République…) Le tout dans un enchevêtrement peu lisible.

A titre d’exemple, le « Grand Roissy » – qui a pour velléité de regrouper les communes concernées par le développement de l’aéroport – englobe un territoire de 22 communes dans 5 intercommunalités. Il comprend 3 CDT d’un périmètre différent, séparés par la frontière départementale 93/95 [6], sans compter un quatrième CDT en émergence sur quelques communes de Seine-et-Marne. Il exclut au Nord-est une vaste aire de recrutement de plusieurs centaines de communes qui s’étend sur la moitié de l’Oise et une partie de l’Aisne [7].

Quelques réflexions

¨ On peut se demander si l’on n’a pas intégré un cheval de Troie politique dans un outil technique. Les CDT sont censés introduire un « plus » de simplification administrative et accélérer les procédures. Toutefois il ne s’agit pas d’un dispositif d’Etat ordinaire, mais bien d’une exception francilienne! En réalité, l’ancien gouvernement souhaitait la reprise en main du développement de la région–capitale, au motif d’aménagement du territoire. Le problème d’une loi, c’est qu’elle s’impose. Nous saluons l’effort du SDRIF de remettre dans le jeu le niveau régional, en insérant les CDT dans le Schéma Directeur. Mais intégrer les dispositions de la loi « Grand Paris » dans le SDRIF, rend “légal”… un régime d’exception. Avec toutes les conséquences !

¨ Le Grand Paris a ouvert la boîte de Pandore d’une pléthore de projets (650) dont la totalité n’est pas financée, ni même finançable ! A court terme, les territoires qui bénéficient d’un surcroît de pouvoir peuvent s’illusionner sur une meilleure gouvernance. A long terme, le système n’apparaît pas viable : il met les territoires en situation de concurrence et non de coopération, dans une débauche de grands projets inutiles (grands stades, centres commerciaux ou de loisirs géants, pôles logistiques surdimensionnés, multiples centres d’affaires…) Avec une aggravation de toutes les inégalités territoriales, arrosant là où il pleut déjà [8], faisant grossir les gros et maigrir les maigres. Malgré un rééquilibrage vers des banlieues populaires (St Denis, Gennevilliers, Ivry-Vitry, Montreuil), le développement urbain de la métropole s’effectue essentiellement sur des pôles d’excellence qui cumulent les richesses (La Défense, Roissy, Boulogne, plateau de Saclay, Orly…) Les 5 millions d’habitants de la grande banlieue sont oubliés et assignés à résidence et aux déplacements lointains.

¨ Le déséquilibre Sud-Ouest/ Nord-Est s’accentue. Les CDT se localisent pour l’essentiel en proche couronne, dans le 92 (Boucle Seine-Nord, Défense Ouest, Seine Défense, GPSO… ) et au Sud (Vallée Scientifique de la Bièvre, Paris-Saclay, Sud du plateau, Grand Orly ). Ce qui représente une recentralisation sur la zone agglomérée dense et les pôles de tertiaire supérieur, en rupture par rapport aux SDRIF de 2008 et surtout 1994. Effaçant de timides tentatives de desserrement de Paris-petite couronne et l’innovation des Villes Nouvelles. Le CDT Défense-Ouest prévoit 40.000 emplois nouveaux, avec la construction de 150.000 m2 d’immobilier d’entreprises en démolition-construction et extension, sans compter 300.000 m2 de constructions neuves. De 1990 à 2009, la commune qui a connu la plus forte hausse démographique est… Courbevoie, alors que précédemment (1975-1990) les 5 villes nouvelles avaient accueilli la moitié de la croissance de l’IDF ! [9]

¨ Ces CDT sont mis en œuvre par des Opérations d’Intérêt National (OIN), des Etablissements Publics d’Aménagement (EPA), qui devraient défendre –compte tenu de leur intitulé – les premiers ‘”l’intérêt national” et les deuxièmes “l’intérêt public“. Mais l’intérêt national est-il de concentrer 20% de la population sur 2% du territoire ? Et comment les EPA défendraient l’intérêt public, puisqu’ils sont “pompiers-pyromanes”, financés par la spéculation immobilière ? L’EPA Plaine de France est aménageur d’Europa city, ce projet contribue à lui donner ses moyens de fonctionner… Donc oubliant la neutralité du service public, il met sur son site une pétition pour défendre un investissement privé de 1,7 milliard porté par Auchan !! Et après, on déguise ce projet qui apporte beaucoup de nuisances et peu de retombées au territoire local en intérêt général majeur, AU NOM DE L’EMPLOI… Alors que nous sommes en mesure d’apporter des dizaines d’arguments pour prouver que ces chiffres sont largement surestimés et qu’à l’inverse les coûts sociaux, environnementaux et même économiques sont fortement minorés.

III. LE SDRIF DEVRAIT CONSTITUER UN VERITABLE OUTIL DE PROSPECTIVE

1/ Les objectifs affichés

« L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare » déclarait Maurice Blondel. Idée judicieuse reprise dans le document (Volume Défis/Projet, p. 51). Toutefois, on peut déplorer que cette démarche prospective n’aille pas jusqu’au bout de la logique. En cette période de grande incertitude, dans un « tournant sans visibilité », il est affirmé dans le document des objectifs très ambitieux de type « 30 glorieuses » (+2,5% de croissance annuelle, +70000 logements et + 28000 emplois par an…) etc.

2/ La réalité récente

Les chiffres de la période 2008-2012 révèlent une situation fort éloignée des objectifs escomptés.

En matière de logements, certes on enregistre une accélération du rythme de construction par rapport à la décennie précédente, mais qui reste bien en dessous des objectifs du SDRIF. Mais on observe également que, depuis le début de l’année 2011, les ventes de logements neufs ont diminué en IDF. La profession BTP fait observer que la réduction des avantages fiscaux du dispositif Scellier en 2012 et un contexte économique incertain expliquent ce repli [10].

En matière d’emploi, constatons qu’en 2012 l’emploi salarié (hors agriculture) a progressé de 20.000 postes, ce qui a permis à l’activité francilienne de revenir à son niveau de 2008, soit une croissance zéro pendant 4 ans !

3/Les risques

* au niveau national

Deux cartes de la DATAR (en annexe) intitulées « les trajectoire départementales d’évolution de l’emploi 2001 à 2010 » montrent que jusqu’en 2007 inclus, en période de croissance même faible, l’augmentation des emplois dans l’agglomération parisienne s’est accompagnée d’une certaine redistribution dans les autres régions, notamment périphériques (Grand Sud et Grand Ouest en rouge). Par contre, au cours de la période de récession des 3 années suivantes (2008-2010 inclus), l’IDF siphonne toute la croissance dans un rayon de 450 kms et les régions limitrophes enregistrent une baisse de l’emploi sans précédent (en vert, toute la France au Nord de Lyon, sauf la Bretagne et en particulier en vert foncé : la Champagne-Ardenne, la Lorraine, la Bourgogne, le Centre, la Normandie… jusqu’au Jura). Une baisse amorcée avant même le tournant de 2008.

¨ Constat sans appel : quand la croissance est très faible, seuls les zones les mieux dotées en profitent ; quelques îlots de prospérité se maintiennent, dans un océan de récession. A supposer que cette période de morosité se prolonge, voire s’installe, ceci signifierait une hausse massive des inégalités spatiales. Ce qui plaide en faveur d’une réduction de la croissance de l’IDF. Maintenir des objectifs ambitieux pour la région-capitale dans un contexte aussi dégradé aboutit à aggraver les inégalités pour l’ensemble du territoire national (aucune région ne reste en « rouge vif ») et un retour à une nouvelle forme de « Paris et le désert français », effaçant les efforts de 20 années de timide politique de décentralisation et de «métropoles d’équilibre ».

¨ Ceci va également à l’encontre de la loi Décentralisation-acte III actuellement en cours de discussion.

* En IDF

Face à un ralentissement de l’emploi et de la construction de logements, qui se traduira fatalement par une révision de la programmation en matière de transports, le grand danger serait que les territoires locaux désignés par des pastilles d’urbanisation préférentielles continuent à urbaniser coûte que coûte, comme le permettent les objectifs des CDT et le document de programmation du SDRIF. Nous aurions ainsi le développement d’une seule fonction urbaine – l’habitat -, sans avoir les emplois, les transports et les services correspondants, ce qui aboutirait à la constitution de nouvelles « cités-dortoirs » avec son cortège de déplacements de population fuyant via les gares, d’explosion de la demande de transports, entraînant de nouvelles fractures territoriales.

D’ou les propositions suivantes :

¨Instaurer une véritable démarche de prospective, justifiée par la période incertaine que nous traversons, en établissant plusieurs scénarios, déclinés en objectifs catégoriels. Ce qui permettrait en cas de ralentissement fort et durable, d’opter pour un scénario de repli se traduisant par des objectifs moins ambitieux, notamment en matière de croissance démographique. Maintenir des objectifs irréalistes en cas de crise durable casserait toute politique d’aménagement du territoire en IDF. Les zones en capacité d’urbaniser seront les plus riches, donc les plus autonomes, générant un accroissement massif des inégalités territoriales.

Rien ne permet dans la situation actuelle d’augurer un mode de vie différencié, en adéquation avec la mutation de société que nous vivons qui appelle des conceptions urbaines nouvelles liées à la «ville des courtes distances », à « l’agro-urbain », une gouvernance démocratique de proximité, un art du “vivre ensemble” et plus globalement tout ce qui concourt à la qualité de développement durable d’un territoire de projet.

Ces constats appellent 3 scénarios de développement :

Au scénario scénario « ambitieux » qui est celui du SDRIF dans sa version actuelle, on adjoindrait :

  1. un scénario de développement modéré, avec des TOL révisées à la baisse, une protection accrue de terres agricoles, un schéma de transport plus modeste qui améliore en premier lieu l’existant et qui développe les tramways et tangentielles du Plan de Mobilisation;
  2. un scénario de stabilisation, centré sur l’amélioration qualitative du « bien-être » de l’IDF et la réduction des inégalités territoriales avec une meilleure répartition des richesses.

Enfin, souhaitons la reprise d’un Schéma d’aménagement du Grand bassin Parisien, ainsi qu’un repositionnement de l’Etat dans sa responsabilité d’aménagement de l’ensemble du territoire national, avec une politique de décentralisation plus déterminée en direction des autres régions et métropoles.

En Conclusion, le SDRIF ne peut défendre la vision d’une région-capitale hydrocéphale, siphonnant les forces vives de la nation. Au nom des valeurs de sobriété, de soutenabilité et de partage démocratique des richesses, il doit s’intégrer dans le projet d’une France équilibrée des régions.

NOTES

[1] Voir article A. Lipietz et J. Lorthiois, inhttp://lipietz.net/IMG/pdf/Pieuvre_10.pdf

[2] INSEE, « Projections de population francilienne à l’horizon 2030 » , Scénario central, in Note rapide, Nov 2011

[3] « En 2009, 700 000 ménages franciliens de plus qu’en 2009, dont 60% vivent seuls », IAU, in Atlas des franciliens, 2013.

[4] APUR, IAU « Quelle production de logements en IDF dans le contexte actuel ? », Note, Octobre 2011.

[5] Le prix Nobel 2011 a été attribué à Jules Hoffmann pour ses travaux de biologie moléculaire à Strasbourg.

[6] La ville de Bonneuil dans le 95, dont l’essentiel du territoire est couvert par l’aéroport du Bourget est rattachée à Val de France (95) et seulement « associée » au CDT du Bourget (93).

[7] la zone d’emploi Roissy-Sud Picardie définie par l’INSEE totalise 393 communes.

[8] J. Lorthiois, « Grand Paris, faut-il arroser là où il pleut ? » in Territoires, Février 2011.

[9] IAU, Atlas des franciliens, édition 2013, pages 10-11.

[10] INSEE, « Une économie francilienne encore fébrile », in Ile de France faits et chiffres, Février 2013.

ANNEXE- CARTE

Source : DATAR, Dynamiques, interdépendance et cohésion des territoires, in Observatoire des territoires 2011.