Les villes dissociées

Les villes dissociées : « l’habitant n’y travaille pas, le travailleur n’y réside pas »

De la séparation des fonctions (travail /emploi) à la dissociation des villes

L’urbanisme des « grands ensembles » des années 60 avait créé des villes-dortoirs (ou des quartiers-dortoirs) avec une fonction habitat quasi exclusive, permettant une forte concentration de main-d’œuvre (un « pôle de main-d’œuvre »), fonctionnant généralement en tandem avec un site industriel situé à proximité assurant la fonction « emploi» (un « pôle d’emploi »). Ceci mettait en correspondance deux offres complémentaires : de travail (porté par les travailleurs) et d’emploi (fourni par les entreprises). Sous l’effet conjugué de la décentralisation, puis de la désindustrialisation[i], les politiques de réimplantation d’activités – positionnées essentiellement sur le tertiaire – ont généré dans les années 90-2000 de nouvelles implantations sur certains sites industriels devenus des friches. Cette politique d’accueil d’activités nouvelles, focalisée sur des disponibilités foncières attractives (en termes de proximité avec le cœur d’agglomération, de coûts, de bonne situation géographique, de réseaux de transports…) a été considérée comme réussie à l’aune d’un nombre conséquent d’emplois installés, souvent supérieur au nombre d’actifs résidents de la commune concernée. Ce qui a suscité la satisfaction des élus locaux et incité d’autres communes à lancer des politiques d’accueil d’entreprises de même nature.

 

Malheureusement, il a fallu souvent déchanter, car derrière ce bilan quantitatif appréciable, se cachent des résultats qualitativement décevants. Dans bien des cas, malgré la forte remontée de la courbe des emplois, on note une inadéquation importante entre les postes de travail implantés et les compétences et qualifications de la main-d’œuvre résidente. Ceci s’est traduit par une hausse du nombre de chômeurs qui accompagne la hausse du nombre d’emplois. Tel est le concept que j’ai appelé « ville dissociée », que je caractérise par la définition suivante : « l’habitant n’y travaille pas, le travailleur n’y réside pas. ». Dans celle-ci, on enregistre deux flux croisés qui ne se rencontrent pas : l’un d’actifs « entrants » qui viennent occuper les emplois locaux ; l’autre d’actifs « sortants » qui partent ailleurs quérir leurs postes de travail. Ce qui se traduit par une explosion des besoins de déplacements domicile-emploi. Un système qui s’auto-alimente ensuite en tonneau des Danaïdes, toute amélioration de l’offre de transports favorisant ensuite la poursuite de la dissociation entre le social (la main-d’œuvre) et l’économique (l’emploi). Engendrant à son tour une hausse de la demande de déplacements, réclamant alors une augmentation de l’offre.

 

N.B. J’ai présenté sommairement pour la première fois le concept de « ville dissociée » dans mon petit livre numérique « Balayer les idées reçues sur le travail et l’emploi » paru en 2017[ii], rédigé à destination de chargés de mission « Politique de la ville », notamment en Seine-Saint-Denis.  

La réussite illusoire des « villes dissociées »

Généralement, ces villes sont considérées comme réussies, parce que leur territoire jadis durement frappé par la déprise industrielle, a été réoccupé par un nouveau tissu d’activités dense. Avec un nombre d’emplois comparé au nombre largement excédentaire d’actifs résidents, les élus chantent victoire. Mais en réalité, sous cette apparente félicité, un indicateur résiste : le taux de chômage, qui reste largement supérieur à la moyenne observée alentours. Un indice de déséquilibre sous-jacent : ces pôles urbains sont riches tout à la fois en emplois et en main-d’œuvre, mais sans que les deux entités réussissent à fonctionner ensemble. Comme dirait la philosophe Gabrielle Halpern[i] faisant l’éloge de l’hybridation à travers l’image du Centaure, un cheval juxtaposé à un humain ne fait pas un centaure, encore faut-il que les deux espèces puissent s’hybrider ensemble.

Premier exemple : Saint-Denis (93)

a/ L’« effet Grand stade » faussement positif

Le meilleur exemple est la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), durement touchée par la désindustrialisation dans les années 90 et qui a conduit une politique très volontariste de réimplantation d’activités économiques, considérée comme un modèle vanté par bien des urbanistes et envié par beaucoup d’élus locaux. Ces derniers attribuent ce succès à « l’effet Grand Stade » et rêvent d’un « Grand Projet Structurant » de même nature qui viendrait apporter emploi et prospérité à leur propre territoire. Dans le Val d’Oise, je renvoie à mes écrits sur Mediapart dénonçant le « mirage d’Europacity »[i] démystifiant ce « Grand Projet Inutile et Imposé » (GPII) – appelé désormais « Grand Projet Nuisible et Imposé » (GPNI) – que regrettent toujours les élus de l’Est-95 et du Conseil Départemental val d’oisien, à la recherche d’un nouveau « totem »[ii] censé booster le développement territorial du secteur.

Mais à y regarder de près, le bilan est loin d’être rose pour les villes de type « Saint-Denis » : focalisés sur l’opportunité du retournement du marché foncier, les décideurs ont utilisé à fond cette situation inédite : que le site soit à nouveau « objet de désir », sans s’interroger sur des causes multiples et leurs  effets pervers : effet Grand Stade ? Ou saturation du quartier d’affaires de la Défense ? Ou différentiel du prix du foncier ? Ou situation géographique à l’entrée de la « route des Flandres », axe le plus fréquenté d’Europe ? Ou contiguïté avec la capitale ? La probable conjugaison de ces facteurs positifs, ayant fait oublier d’autres paramètres, comme les caractéristiques de la population active locale. Ainsi, le développement économique s’est effectué comme une extension de la métropole, en négligeant la prise en compte d’une fonction sociale locale. Résultat : la ville s’est couverte d’entreprises souvent délocalisées de Paris ou de La Défense qui ont utilisé une rente foncière : des terrains disponibles, bon marché, à proximité de Paris, avec une adresse qui avait retrouvé de la valeur symbolique et marchande (« effet Grand Stade »), ou encore une excellente situation géographique et une très bonne desserte de transports.

 

b/ Une commune, deux « villes »

Malheureusement il s’agit souvent d’emploi relocalisé, dont le transfert a généré peu de recrutements sur place. Ainsi, la commune de Saint-Denis est aujourd’hui composée de deux « villes » qui se côtoient sans se rencontrer :

Tout d’abord un pôle métropolitain d’ « emplois supérieurs » – fait de sièges sociaux, d’activités d’affaires, de services multimédia et audiovisuels – qui attire une forte population de cadres et de professions intellectuelles (34 600 en 2020), alors que cette catégorie socio-professionnelle ne représente sur place que 8000 habitants. Décalage important également en ce qui concerne les professions intermédiaires, avec 23 300 emplois, contre 10 800 actifs résidents.

A l’inverse, un pôle de main-d’œuvre composé de classes populaires d’employés et d’ouvriers qui habitent la ville (31 200), en nombre supérieur au nombre d’emplois dans ces catégories (28 300). Il n’y a que 9% de recoupement entre le système Emploi (en rouge) et le système Main-d’œuvre (en bleu), les postes d’ouvriers et d’employés étant également faiblement occupés par les populations locales. Ainsi, les deux « villes » » génèrent deux flux croisés de déplacements domicile-emploi qui ne se rencontrent pas : en 2016, on comptabilisait chaque jour, pas moins de 75 000 actifs « entrants » venant occuper les emplois de la commune, pendant que 31 000 habitants « sortants » quittaient leur lieu de résidence pour aller travailler à l’extérieur. Soit un total de déplacements domicile-emploi (bien sûr aller et retour) d’environ 212 000 flux /jour, rien que pour la demande emploi/travail. Un score de 2,4 déplacements pour un emploi localisé à Saint-Denis, un montant très élevé, même s’il est tempéré par une dose de télétravail qui reste faible en France, qui a fortement diminué au sortir de la pandémie et qui ne concerne pas les actifs de la « deuxième ligne »[i].

On voit à travers cet exemple tous les effets pervers d’une politique de l’offre de transports,
sans tenir AUCUN compte des besoins de la main-d’œuvre locale.

Le futur hub du Grand Paris Express actuellement en construction risque d’aggraver encore le caractère métropolitain du site, au détriment des populations actives locales. Résultat : on observe un taux de chômage de Saint-Denis (22% en 2020) l’un des plus élevés de la Seine-St-Denis, supérieur à celui de Sevran (21%), une des communes-dortoirs les plus pauvres de France. Le risque est très élevé d’une gentrification exacerbée du territoire, avec expulsion des classes populaires l

Deuxième exemple : Gennevilliers (92)

a/ deux flux croisés de travailleurs

La ville est un gros pôle d’emploi, avec 42 300 postes au dernier recensement de 2019. Ce qui représente un large excédent de postes, au regard de la population active occupée (18 336 travailleurs) et de la population active totale, chômeurs compris (22 722 habitants). Est-ce à dire que la situation de la commune est enviable ? Malheureusement les activités qui y sont implantées apparaissent décalées au regard des actifs résidents.

Résultat : la ville enregistre chaque jour deux flux croisés de travailleurs :
– 37 227 actifs extérieurs viennent occuper à 88% les postes des entreprises gennevilloises ;
– 13 294 actifs quittent leur commune de résidence pour aller quérir leur activité ailleurs ;
– seuls, 5042 actifs travaillent et habitent sur place.

Soit pour Gennevilliers environ 100 000 flux (aller et  retour) quotidiens, rien que pour les déplacements domicile-emploi.

Ceci représente un coût élevé en émissions de GES et en temps humain (temps perdu dans les transports, qui peuvent se chiffrer dans une vie d’actif par plusieurs années supplémentaires de travail[i]). Une situation qui se traduit aussi par un taux élevé de chômage (19,3%) de la population active, malgré l’abondance des emplois locaux. Même si une part de télétravail pourrait améliorer la situation des cadres, les Gennevillois ouvriers et employés qui composent 80,5% de la population active locale ayant un emploi occupant généralement des postes dits de « deuxième ligne », seraient peu touchés par l’opportunité d’une telle organisation du travail.

b/ un important décalage par catégories professionnelles

De même, l’analyse comparée de la répartition par catégories professionnelles des emplois d’une part (en rouge) et de la main-d’œuvre résidente d’autre part (en bleu) montre de fortes inadéquations, les emplois étant beaucoup plus qualifiés que la main-d’œuvre gennevilloise. Le différentiel le plus spectaculaire s’observe pour les cadres qui sont 4,6 fois plus représentés dans les entreprises locales, qu’au sein de la population active. En ce qui concerne les professions intermédiaires, le décalage est également notoire, deux fois plus important pour les emplois que pour les actifs. Les effectifs d’employés sont à peu près équivalents. Mais dans la catégorie « ouvriers », il est à noter que le nombre de postes de travail dans les entreprises est près du double (1,8 fois) de celui des travailleurs résidents.

En synthèse

Au total, malgré un excédent de près de 24 000 emplois par rapport aux actifs occupés, les nombreuses activités implantées sur la commune de Gennevilliers ne parviennent pas à juguler un taux de chômage nettement supérieur à la moyenne régionale (19,3% à Gennevilliers, contre 12,2% en Ile-de-France). Ceci s’observe plutôt dans les communes déficitaires de grande couronne (bassin de Sarcelles par exemple).

Notre analyse signifie que la politique d’emploi mise en œuvre par la ville, qui repose sur un accueil d’entreprises – quelles qu’elles soient – sans intégrer la DEMANDE LOCALE de la main-d’œuvre n’est guère pertinente. La stratégie à suivre devrait être bien plus qualitative que quantitative et partir des besoins locaux. Sinon, Gennevilliers risque d’être une ville riche… habitée par des pauvres. L’attractivité générée par le pôle auprès des populations qualifiées extérieures risquant d’aggraver la concurrence au détriment des actifs résidents.

Visiblement, la politique d’emplois de Gennevilliers devrait être fortement infléchie et réorientée vers la réponse aux besoins des travailleurs locaux. Un projet d’implantation d’un méga entrepôt intitulé « Greendock » constituant une fuite en avant dans la dissociation de territoire qui ne peut être que très fortement dommageable au pôle en termes socio-économiques, indépendamment de graves problèmes écologiques posés par ailleurs par ce projet.

Troisième exemple : Gonesse, ville dissociée

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Ces exemples plaident pour un « Ménagement de Territoire », notamment de l’Ile-de-France, à cent lieues des « mesurettes » envisagées dans le projet de SDRIF-E. Voir à ce sujet mon analyse sur l’inquiétante aggravation des inégalités territoriales avec la politique des transports franciliens, dans l’article paru sur mon blog de Mediapart :

https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/220123/transports-didf-servir-la-concentration-de-lemploi-deplacer-la-main-doeuvre

[1] Trois phénomènes convergents : 1/décentralisation industrielle : départ en province ; desserrement au sein de la région : en Ile-de-France, relocalisation en Ville Nouvelle ; 3/ désindustrialisation après 85 : concurrence accrue des pays émergents + délocalisation.

[1] https://j-lorthiois.fr/balayer-les-idees-recues-sur-lemploi-et-le-travail/

[1] Gabrielle Halpern et Didier Petetin, La fable du Centaure, Humansciences, 2022.

[1] J. Lorthiois, Bêtisier d’Europacity : l’imposture des 10 000 emplois prétendus, Mediapart

[1] Terme utilisé par Mme Cavecchi, présidente du CD 95 pour justifier l’urbanisation du Triangle de Gonesse.

[1] Voir l’analyse de la DARES https://www.google.fr/search?q=actifs+de+la+deuxieme+ligne

[1] L’équivalent de 7 années de travail supplémentaire dans le cas par exemple d’un Beauvillésois actif (habitant de Villiers-le-Bel).

Le fiasco du Grand Roissy : en dix ans (2012-2022), deux projets terminés sur 25

Le fiasco du Grand Roissy : en dix ans (2012-2022), deux projets terminés sur 25

Depuis 40 ans, la politique de développement du Val d’Oise se focalise sur l’aménagement du Grand Roissy. En 2012, l’EPA Plaine de France lançait une étude sur un ensemble de 25 projets programmés : le bureau d’études ECODEV avait alors évalué à 104 000 les emplois à créer en 2020-22 et 132 000 à terme. 10 ans après, le bilan est dérisoire : seuls 2 projets sont achevés, avec 5000 emplois… Malgré une telle déroute, les élus s’entêtent à poursuivre cette stratégie, en votant 3 nouveaux projets sur le Triangle de Gonesse le 8 juillet 2022. Analyse sans concessions.

Tous les signes témoignent du caractère « daté et dépassé » du modèle de « Ville aéroportuaire » promue par John Kasarda il y a plus de vingt ans (1) : un grand aéroport comme moteur d’une « entité urbaine puissante », qui résume la politique d’aménagement dite du « Grand Roissy » défendue par le Val d’Oise et soutenue par la région Ile-de-France. Bien que l’on ait enregistré depuis une quinzaine d’années un découplage entre le trafic aérien – qui a continué à croître jusqu’en 2019 – et l’emploi – qui a entamé son déclin dès 2008, accéléré avec la pandémie -, les élus s’entêtent à tout miser sur le seul pôle aéroportuaire pour booster l’ensemble du développement de l’Est-95… Dans cet esprit, le Conseil départemental vient de ratifier en juillet dernier, le rajout de trois nouveaux projets du Grand Roissy à implanter sur le Triangle de Gonesse, destinés à justifier la gare du métro : une Cité scolaire, une administration d’État non précisée et le volet agricole d’Agoralim (2) porté par la SEMMARIS, société gestionnaire du MIN de Rungis. Venant en appui, il est créé une Société Publique d’Aménagement d’Intérêt National (« SPLA-IN ») portée par Grand Paris Aménagement allié au CD 95 et à l’intercommunalité CARPF : un mode de gouvernance simplifié et centralisé qui permet de s’abstraire des procédures habituelles pour des projets d’urbanisme considérés comme « majeurs ».

Mais on a beau rajouter à la liste du Grand Roissy ces trois nouveaux projets à la faisabilité douteuse, les décideurs ne parviennent toujours pas à justifier de l’utilité socio-économique d’une gare située dans un désert humain : que signifie une Cité scolaire hors agglomération, avec un internat dans une zone interdite à l’habitat permanent, en raison des deux Plans d’exposition au bruit (PEB) des aéroports de Roissy et du Bourget ? Une administration d’État qui s’installerait au milieu des champs, absurdité telle que la désignation tarde depuis décembre 2021 ? Une activité de production de légumes du MIN de Rungis-Nord sur le Triangle de Gonesse, en l’absence de la possibilité d’acquisitions foncières ? J. Lorthiois a démontré dans une série d’articles que ni la fréquentation des populations, ni le nombre d’emplois nouveaux desservis, ni l’accessibilité à l’ensemble des emplois, ni les gains de temps, ni la centralité urbaine, ni la balance coûts financiers/avantages – autant de critères permettant de mesurer l’utilité de la gare du Triangle et plus généralement de la ligne 17 Nord – n’étaient nullement atteints, comme le montre le tableau récapitulatif suivant.

Malgré ces constats accablants, en 2021, nous avons eu la surprise de découvrir incidemment (dans le cadre de l’enquête publique de la ligne 18 Orly-Versailles), que la SGP – juge et partie – avait procédé à une révision de l’évaluation socio-économique du Grand Paris Express, avec une énorme majoration du bilan socio-économique de certaines lignes, sans aucune explication. Quelle n’est pas notre stupéfaction de constater que l’évaluation socio-économique de la ligne 17 Nord passe d’un gain de 0,8 milliard en 2016 à 6,8 milliards en 2021, soit une augmentation abusive de +747 % ! Entretemps, les trois principaux projets du Grand Roissy (Europacity et le centre d’affaires qui lui était lié, le projet d’extension de l’aéroport Terminal T4) avaient été abandonnés, soit une promesse de 70 000 emplois envolés en fumée… ce qui aurait dû se traduire par une substantielle révision à la baisse ! Pourtant, le critère « nouveaux emplois » enregistre un bonus passant de 0,4 milliard à 4,6 milliards, sans aucune justification… Ces manipulations traduisent une malhonnêteté indigne d’une entreprise publique, chargée en principe de l’intérêt général. Voir l’article « Les manœuvres de la Société du Grand Paris : comment positiver des critères négatifs ». https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/240722/les-manoeuvres-de-la-societe-du-grand-paris-comment-positiver-des-criteres-negatifs

 

Dans ce contexte, que signifient les 3 nouveaux projets rajoutés en catastrophe pour justifier le chantier de la gare du Triangle de Gonesse à tout prix, alors qu’on constate le fiasco de l’ensemble de la politique d’aménagement du Grand Roissy promue depuis 2012 ? Pour en avoir le cœur net, le CPTG a commandité une nouvelle étude pour évaluer l’état d’avancement des 25 projets portés par l’EPA Plaine de France -désormais Grand Paris Aménagement-, dix ans plus tard. Nous avons déjà cité l’abandon d’Europacity en 2019 et son centre d’affaires, suivi par l’arrêt du projet d’extension de l’aéroport, avec la crise du trafic aérien lié à la crise sanitaire, ce qui représente au total l’annulation de 53% des perspectives d’emplois envisagées. Une quinzaine d’autres projets sont à l’arrêt, fonctionnent au ralenti, ou encore ont un avenir incertain. Et surtout, en 2013, l’entreprise PSA a fermé ses portes à Aulnay-sous-Bois, venant rajouter une friche industrielle dont la valorisation devrait constituer une priorité. Au total, deux projets seulement sont terminés, un gain de 5000 emplois (Aéroville et Roissy Parc International)… à comparer aux 104 000 postes promis en 2020-22.

 

Quand une stratégie obtient 5% de son objectif, on serait en droit d’attendre des responsables une réorientation de leur politique plutôt que sa poursuite aveugle. Dans un contexte où la commercialisation de zones d’activités disponibles marque le pas (une centaine d’ha restants sur Aérolians, ainsi qu’une centaine d’ha sur la friche PSA, très bien desservie par route et fer, sans compter une dizaine d’autres projets à l’arrêt) et que le secteur privé se désinvestit massivement de projets risqués,  l’État gaspille l’argent public en se portant au secours de projets non rentables, nuisibles aux populations… et prend des jeunes en otage dans une Cité scolaire, assignés aux décibels des avions, afin de justifier une gare en plein champ et une ligne de métro dont l’utilité est totalement démentie par les faits.

Source de cet article : Étude de J. LORTHIOIS, « Actualisation des impacts sur l’Emploi des 25 projets du Grand Roissy », Collectif pour le Triangle de Gonesse, avril 2022, 39 pages.
https://ouiauxterresdegonesse.fr/wp-content/uploads/2022/04/Etude-ECODEV-revue.pdf

(1) John Karsada, Aérotropolis, la Ville aéroportuaire, voir site http://aerotropolis.com/
(2) Le projet Agoralim, porté par la Semmaris, est une extension du MIN de Rungis, au nord de l’Ile-de-France.
Jean Castex l’a défini comme « une plateforme de distribution alimentaire, mais aussi un projet de développement des circuits courts et de la production locale. »

Marche des terres des 9 et 10 octobre 2021

J’ai deux réponses à faire

La première réponse s’adresse à Gabriel Attal, ministre, porte-parole du gouvernement,

qui le 1er octobre, venu sur le Triangle de Gonesse a déclaré à propos de notre recours juridique contre la gare en plein champ : « Ohhhh… c’est une question de forme, pas une question de fond ». Et il a ajouté que la gare se ferait, anticipant le jugement qui nous a déboutés il y a 2 jours, comme s’il le connaissait à l’avance.

Le pouvoir exécutif passant en force devant le pouvoir judiciaire ? Bravo la démocratie !

La protection de la biodiversité, pas une question de fond ?

Qui a fait les lois restrictives qui obligent nos avocats à se battre pour les seules espèces protégées, quand c’est l’ensemble des espèces qu’il faudrait défendre ? Quand un œdicnème criard gobe un moustique, il se moque bien de savoir si cet insecte est « classé » par les humains en biodiversité ordinaire. C’est donc toute la chaîne du VIVANT qu’il s’agit de protéger, face aux menaces du dérèglement climatique et des activités humaines, a fortiori les INUTILES.

Est-ce une question de forme que les gouvernements instrumentalisent la justice, pour bétonner tranquille, détruire tout ce Vivant ?

M. Attal, vous êtes chargé de rassurer les élus, vous leur dites « pas grave, on va améliorer à la marge ». On va mettre en place ce que la loi appelle des COM-PEN-SA-TIONS : on va échanger les hectares d’excellentes terres agricoles du Triangle de Gonesse qui ont 15 000 ans d’âge, 6 à 8 mètres de profondeur de sols… contre la même surface en hectares sur les champs d’épandage de la ville de Paris de la Plaine de Pierrelaye bourrés de métaux lourds… sur lesquels on veut faire pousser une hypothétique forêt… Dans 50 ans ?

Voilà comment vos lois règlent les questions de forme.

Vous louvoyez avec les décisions nécessaires, mais il faudra bien un jour regarder en face la question de fond : c’est l’espèce humaine elle-même qui est menacée, en faisant disparaître les meilleures terres, les espèces animales et végétales qui la nourrissent. Comptez-vous sur les m3 de béton, les rails du métro, les équipements des J0 2024, les billets de banque que rapportent toutes ces destructions… pour nous alimenter ?

N’est-ce pas une question de fond : la destruction tranquille de la survie de notre propre humanité ?

Je formule aussi une deuxième réponse adressée cette fois à Monsieur Pascal Doll

président de la communauté d’agglomération de Roissy Pays de France et à ses membres, à Madame Cavecchi, présidente du Département 95, autant d’élus qui sont POUR la bétonisation à l’unanimité, à droite comme à gauche. Je l’étends aussi à Valérie Pécresse, présidente de Région et de Grand Paris Aménagement qui a décidé le sacrifice de l’Aire de Vents du parc de la Courneuve, qui a fait raser les Jardins Ouvriers d’Aubervilliers.

Monsieur Doll vous avez publié cet été dans la presse un communiqué publicitaire, qui déclare « Nous restons les maîtres du destin de notre territoire ». Sous-entendu : mêlez-vous de ce qui vous regarde, vous les opposants. Comment pouvez-vous dire « nous restons les maîtres », alors que vous avez été en permanence à la solde des grands groupes, des lobbies du BTP, les Vinci, Bouygues, Eiffage ? Vous avez bradé notre territoire à des milliardaires, vous avez soutenu Europacity porté par Auchan évadé fiscal en Belgique et Wanda milliardaire chinois ; vous bradez le sommeil des habitants à la société américaine Fedex qui fait du fret aérien en vol de nuit et s’oppose à un couvre-feu à Roissy, au contraire de tous les grands aéroports européens, Orly compris… Voilà le destin des populations du Bassin de Roissy : un aéroport qui fonctionne 24h sur 24 et 7 jours sur 7, entraînant la perte de 28 mois de vie en bonne santé pour un million de riverains. Et qui rend complètement caduc la perspective d’un métro qui ne fonctionne qu’aux heures ouvrables !!

Quelle légitimité avez-vous pour parler du NOUS, au pluriel, alors que vous autres élus du Val-d’Oise, vous pratiquez l’exercice solitaire du pouvoir ? Le territoire de l’agglomération de Roissy-Pays de France s’est constitué au gré des alliances par accointances politiques, dans l’entre-soi. Jamais il n’a été porté attention aux habitants et à leurs besoins. Votre prédécesseur Patrick Renaud a déshabillé une intercommunalité rurale de Seine-et-Marne pour annexer les 17 communes les plus riches pour sauver sa majorité de droite. Vous étiez à l’époque maire d’Arnouville 14000 habitants et vous avez déposé 3 recours juridiques contre la création de cette énorme « machine ». Quelques années plus tard vous êtes à la tête de l’agglomération de Roissy pays de France… Vous avez succédé à Patrick Renaud resté 38 ans à diriger le territoire, cadre chez Servair qui représentait le lobby aérien et qui habitait Paris. Il a fait la promotion de l’aéroport de Roissy, d’Europacity et autres GPII et à aucun moment, il n’a défendu les intérêts des habitants. Il vous a désigné comme son successeur. Vous étiez le seul candidat : que vaut cette élection par cooptation ? Vous dirigez maintenant une agglomération de 350.000 habitants de bric et de broc, constituée de 8 territoires différents. Vous poursuivez la politique de Patrick Renaud. Vous prétendez que le projet pour fédérer les habitants, c’est le métro qui desservirait Roissy, un pôle en pleine crise du transport aérien, qui a perdu 20 000 emplois depuis 2008 et qui va en perdre d’autres quand les compagnies feront les comptes…

Parlons-en du DESTIN que vous nous réservez…

Vous nous voulez Consommateurs passifs de commerces, de loisirs et de culture avec Europacity, consommateurs de jeux avec les JO 2024, consommateurs de produits d’entrepôts logistiques, consommateurs de transports lointains…

Vous n’avez pas à décider de notre destin. C’est à NOUS de le prendre en main !

Nous ne voulons pas être consommateurs, nous voulons être producteurs de notre vie, nous voulons produire nous-mêmes notre alimentation, concevoir nos loisirs, produire notre culture…

Nous voulons travailler au pays, dans notre territoire, dans des emplois de proximité et non pas subir la galère des transports pour aller travailler ailleurs, dans les quartiers d’affaires de Paris et de la Défense, parce qu’il n’y a aucune diversité d’emplois dans nos territoires.

Parce que les activités de proximité disparaissent : l’hôpital de Villiers-le-Bel a fermé, les petits commerces de Gonesse aussi. Nos quartiers, nos cités ont vu disparaître le bureau de poste, la CAF, la MJC, la Mission Locale, le dispensaire, le cabinet médical…

Non merci pour vos déserts médicaux et de services, peuplés de réseaux de transports et d’entrepôts !

Et dans le NOUS que nous défendons, il n’y a pas seulement l’espèce humaine, mais l’ensemble du vivant de nos territoires :

Nous défendons les 70 millions de vers de terre du Triangle de Gonesse qui ne prennent pas le métro,

Nous défendons le chant de nos linottes mélodieuses, contre le vacarme de vos avions, de vos camions et de votre métro,

Nous défendons la douceur goûteuse des légumes de nos potagers contre la fadeur de l’agro-industrie,

Nous protégeons nos escargots qui détestent bronzer sur vos solariums…

Nous opposons la force de nos convictions contre la violence de vos pelleteuses et de vos tunneliers,

Nos forces de vie contre vos forces de mort.

Voilà notre NOUS, et pour sauver ce NOUS, Nous ne lâcherons RIEN !

Jacqueline LORTHIOIS

Marches des Terres
Pantin, 9 Octobre 2021

Grand Paris, un projet controversé

Grand Paris, un projet controversé

Le Grand Paris fait exploser toutes les inégalités territoriales

Lors du débat de « Public Sénat », il était convenu que ma « carte rouge » montrant l’extraordinaire concentration d’emplois en Île-de-France serait projetée à l’antenne. J’ai attendu en vain : résultat, je n’ai pas fait l’intervention que j’avais préparée sur ce sujet. D’où cet article complémentaire qui présente « la carte à laquelle vous avez échappé »… qui devient en réalité une « deux en un », avec une carte en bleu qui montre la localisation de la moitié de la main-d’œuvre, à mettre en regard de la carte rouge.

Sur la première figure, nous constatons une énorme concentration de l’emploi : 19 communes – sur 1274, soit 1,5%  ̶ forment une tache rouge centrale qui cumule la moitié de l’emploi régional, dans un vaste océan « gris » qui couvre les 1255 municipalités restantes.

Paris et ses adjacences ressortent clairement : évidemment à l’Ouest les quartiers d’affaires de La Défense élargie (Nanterre, Puteaux, Courbevoie, Rueil-Malmaison, Neuilly-sur-Seine) et du binôme Boulogne/Issy-les-Moulineaux ; le pôle de Saint-Denis / Saint-Ouen ; deux communes appartenant au ruban de villes longeant le périphérique de Saint-Ouen à Neuilly : Clichy et Levallois-Perret, qui constituent des satellites du Quartier Central des Affaires (QCA)[1] parisien ; des villes de toute première couronne (Montreuil, Gennevilliers) ou de grande (les centres administratifs et économiques de Versailles-Vélizy et de Créteil). Et deux exceptions qui ne sont pas localisées dans ce qu’on appelle « le cœur d’agglomération »[2] : Roissy, deuxième aéroport européen et l’ancienne ville nouvelle d’Évry, préfecture de l’Essonne.

[1] Le Quartier Central des Affaires regroupe les arrondissements : 1er, 2ème, 8ème, 9ème, 16ème, 17ème.
[2] Cœur d’agglomération : les communes en continuité de bâti avec Paris, avec au moins 80% d’espaces urbanisés et denses (au moins 80 habitants et emplois à l’ha construit). Source : IAU.

Sur la deuxième carte, nous observons une dispersion trois fois plus élevée de la main-d’œuvre en bleu, qui reflète bien la localisation géographique de la population francilienne et l’historique de l’urbanisation de l’agglomération : 61 communes sur 1274 – soit 4,7% – regroupent la moitié des actifs franciliens ayant un emploi.

Notons toujours l’importance de Paris et de ses adjacences : le ruban continu de villes le long du périphérique s’est allongé, allant de Pantin à Issy-les-Moulineaux. On retrouve La Défense, les pôles contigus à la capitale : Montreuil, Saint-Denis/Saint-Ouen, le binôme Boulogne/Issy. S’y ajoutent cette fois Aubervilliers, Pantin, Montrouge, Ivry/Vitry… Autant de communes de grande taille bien desservies, ayant accueilli de longue date des populations et des activités desserrées de la capitale.

En deuxième ligne, on reconnaît les bassins de main-d’œuvre de Seine-amont (Alfortville, Maisons-Alfort, Villejuif) jouxtant celui de Créteil (St Maur-des-Fossés, Champigny-sur-Marne) ;  ceux d’Aulnay (Blanc-Mesnil, Sevran, Drancy), Bobigny, de la boucle Nord 92 (Colombes/Asnières), d’Issy (Clamart, Châtillon) et de Boulogne (Meudon).

En seconde couronne, on relève la continuité urbaine Sartrouville/Argenteuil/Epinay (le long de la Tangentielle nord rebaptisée Tram 11 express), une cité de grands ensembles (Sarcelles). Les villes traditionnelles de Meaux, Melun, Saint Germain-en-Laye/Poissy, Massy/ Antony, Versailles… Des communes d’anciennes villes nouvelles : Cergy, Montigny-le-Bretonneux, Noisy-le-Grand, Évry/Corbeil. Soulignons enfin l’absence sur la carte de Roissy, cas spécifique d’un pôle d’emploi sans habitant.

Sans surprise, les deux cartes coïncident fort mal, traduisant la dissociation domicile/travail qui caractérise l’Île-de-France et les besoins de mobilité qui en résultent. Le réseau du Grand-Paris-Express ne constitue guère une solution, car il relie entre eux les « pôles d’excellence » cumulant les emplois, ce qui ne représente que 3% de la demande de transport[1].

Bien entendu, les besoins principaux de déplacements portent sur les liaisons domicile-travail entre des bassins d’habitat (donc de main-d’œuvre) et des pôles d’emplois. Une fonction relativement bien assurée par la ligne 15 Sud, mais très insuffisamment par la ligne 18 Orly-Versailles (voir article ci-après) et pas du tout par la ligne 17 Nord.

Le Grand-Paris-Express constitue une offre qui correspond très mal à la demande. Un échec programmé, dont les coûts ne cessent de grimper…

[1] Source : Enquête Globale de Transports d’Ile-de-France, 2010.

 

L’habitat participatif fête ses 40 ans

L’habitat participatif fête ses 40 ans

A l’origine de l’Habitat Participatif d’Habitants

En Septembre 2017, a été fêté l’anniversaire des 40 ans de la naissance du « Mouvement de l’Habitat Groupé Autogéré » (MHGA) qui a initié les premières expériences d’habitat coopératif portés par des citoyen-ne-s se constituant leur propre promoteur.

Dans les années 80, un tour de France du MHGA a permis de repérer plus d’une centaine de collectifs dans toute la France (et accessoirement en Belgique) regroupant environ 5000 personnes.

Jacqueline Lorthiois a fait partie des membres fondateurs de ce mouvement et a assuré pendant quelques années la rédaction de la revue « Habitants ».

Puis la crise a fait passer au second rang des préoccupations des populations les questions « d’habiter autrement » et plus généralement du « vivre mieux », au bénéfice des thèmes liés à l’urgence de « survivre », comme l’emploi, ou la lutte contre le chômage et la pauvreté.

L’habitat coopératif d’habitants a retrouvé une nouvelle légitimité, avec l’acuité des questions écologiques et le besoin de vie collective et de « sobriété heureuse ».

Le mouvement s’appelle désormais « Eco-Habitat Groupé ».

A côté du logement social et du logement privé, cette « 3ème forme d’habiter » est reconnue désormais par la loi ALUR.

Voir site
http://www.ecohabitatgroupe.fr/

Vidéo projetée à Nantes pour les 40 ans du MHGA

article publié dans Le Monde du
22 Février 1978

Colloque réalisé le 13 Juin 2015, au Théâtre 95, Cergy

De gauche à droite : Joël Dragutin (Dr Théâtre 95), Elvira Jaouen (maire Courdimanche), Daniel Jaunas (responsable IDF de l’Éco-habitat groupé), Jacqueline Lorthiois (co-fondatrice du Mouvement), Pascal Greboval (journaliste)
Au fond : fresque réalisée par le Collectif de Cergy (quartier des Touleuses).

De gauche à droite : Elvira Jaouen, Daniel Jaunas, Jacqueline Lorthiois, Pascal Greboval.
Au fond : Logements réalisés en auto-construction par le mouvement coopératif des « Castors ».

De gauche à droite : Elvira Jaouen, Daniel Jaunas, Jacqueline Lorthiois, Pascal Greboval.
Au fond : constructions en glace, bambou, toile, réalisées par le Collectif des « Sanfte Structuren » (« Les structures douces »)- Allemagne

Habiter, travailler, se déplacer

Du diagnostic à l’action : (re)tisser des liens locaux entre main-d’oeuvre et emploi

La relation emploi-travail ne s’établit pas spontanément. Dans les régions riches, les écarts ont tendance à s’aggraver si l’on se contente d’accompagner les tendances, à savoir un emploi de plus en plus concentré et une main-d’oeuvre de plus en plus dispersée.

Pour combattre l’exclusion sociale face à ce couple inégalitaire que sont emploi et main-d’oeuvre, se focaliser sur cette dernière, qui représente la moitié la plus fragile du tandem, est une nécessité.

Voir mon intervention à partir de la page 75 du document ci-dessous :